Deux fortes têtes de l’univers des plateformes numériques, deux puissants et richissimes patrons d’envergure planétaire, Elon Musk et Pavel Durov, viennent de s’incliner devant des régulateurs d’Etats démocratiques à l’issue de procédures judiciaires distinctes mais révélatrices d’une nouvelle dynamique.
Au Brésil, la Cour suprême a levé, mercredi 9 octobre, la suspension des activités du réseau social X, ex-Twitter, après avoir obtenu d’Elon Musk, son très remuant et trumpiste patron, qu’il s’acquitte d’une amende de 5 millions d’euros et bloque les comptes que le gouvernement accusait de promouvoir la désinformation. Elon Musk a donc cédé, au terme d’un conflit de plusieurs mois qui l’avait amené à fermer ses bureaux au Brésil en réaction à la décision d’un juge d’interdire plusieurs comptes accusés de désinformation, puisque la direction de X refusait de le faire elle-même. La Cour suprême avait alors décidé de bloquer la totalité du réseau social au Brésil.
En France, c’est Telegram, l’une des plus importantes messageries au monde, qui a changé de pied et accepte désormais de coopérer avec les autorités judiciaires, après l’arrestation spectaculaire de son fondateur et PDG, le russe Pavel Durov (qui a également la nationalité française), le 24 août. Mis en examen pour douze infractions liées à la quasi-absence de coopération de Telegram avec la justice dans des affaires d’escroquerie ou de diffusion d’images pédopornographiques, Pavel Durov a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire français, après avoir versé une caution de 5 millions d’euros.
Volte-face
Telegram répond désormais aux réquisitions judiciaires et accepte de dévoiler à la justice les adresses IP et numéros de téléphone des utilisateurs qui enfreignent la loi, a confirmé M. Durov le 23 septembre. L’application a par ailleurs mis en place un filtrage poussé de son moteur de recherche interne, qui permet de bloquer des mots-clés menant à des canaux de vente d’armes, de drogue ou de services illégaux, jusque-là totalement accessibles. La justice belge a également observé ces dernières semaines une meilleure coopération de la part de Telegram.
Ces volte-face montrent que, loin d’être une zone de non-droit, Internet peut se plier aux règles dès lors qu’on veut se donner les moyens de les faire respecter, quitte à utiliser la manière forte comme l’ont fait le plus légalement du monde les juges français et brésiliens. Il n’est pas indispensable de tout attendre de grandes législations à Bruxelles ou à Washington : l’arsenal judiciaire classique des Etats peut aussi être utilement mis à contribution.
Cette séquence confirme également que, derrière leurs prises de position libertariennes en faveur d’une liberté d’expression absolue, ces ténors mondiaux des plateformes numériques sont avant tout des chefs d’entreprise soucieux de leurs intérêts économiques. Ils n’ont d’ailleurs aucun scrupule à collaborer avec les régulateurs de pays autoritaires. Le choix de Dubaï comme quartier général de Telegram est à cet égard révélateur des priorités de l’entreprise.
Courtisés par les chefs d’Etat et longtemps protégés en raison de leur puissance d’investissement et d’innovation, ces « hommes forts » du numérique, ouvertement critiques de l’approche régulatrice européenne, sont finalement amenés à respecter la loi par de « petits juges ». C’est peut-être le début d’un sain et nécessaire rééquilibrage.