En miroir de la Chine, l’Europe menace d’interdire le minage de cryptomonnaies sur son territoire. En s’attaquant aux mineurs de Bitcoin, les autorités européennes espèrent éviter les pénuries d’électricité cet hiver.
L’Europe traverse une importante crise énergétique. Dans ce contexte de pénurie chronique, la Commission européenne vient de présenter un plan d’action visant à accompagner la transition numérique du secteur de l’énergie. Publié ce 18 octobre, le rapport dresse une série de mesures destinées à permettre « une utilisation plus efficace des ressources énergétiques » des nouvelles technologies. La Commission ambitionne aussi de « réduire les coûts pour les consommateurs et les entreprises énergétiques » au sein de l’Union européenne.
L’entité a notamment évoqué la question du minage de cryptomonnaies. Le Bitcoin, la cryptomonnaie la plus valorisée du marché, s’appuie en effet sur la Preuve de travail, un procédé très énergivore, pour sécuriser ses transactions. Il est nécessaire de faire tourner de puissantes machines, les Asics, en continu, ce qui consomme beaucoup d’électricité.
L’Université de Cambridge estime que le minage de Bitcoin consomme plus d’électricité qu’un pays comme le Kazakhstan ou les Philippines. C’est en partie pourquoi l’Ethereum, la seconde devise numérique de l’industrie, a abandonné la Preuve de travail pour la Preuve d’enjeu, un algorithme de consensus qui consomme 99 % d’énergie en moins, dans le cadre de The Merge.
Sans surprise, la Commission européenne loue la transition de l’Ethereum vers un mécanisme plus respectueux de l’environnement. Le rapport estime que le Merge du réseau Ethereum « montre que le monde de la crypto peut évoluer vers un système plus efficace ». Une coalition d’ONG menée par Greenpeace abonde dans le même sens et exige même que le Bitcoin se calque sur l’Ethereum.
Interdire le minage pour éviter les pénuries d’électricité
Citant les résultats de l’étude réalisée par l’Université de Cambridge, la Commission européenne assure que la consommation énergétique des cryptomonnaies a considérablement augmenté en l’espace de deux ans. Le secteur des crypto-actifs représenterait actuellement 0,4 % de la consommation d’électricité dans le monde.
« En exploitant l’utilisation des cryptomonnaies et d’autres technologies de blockchain sur les marchés et le commerce de l’énergie, il faut veiller à n’utiliser que les versions les plus économes en énergie de la technologie », estime la Commission.
Cette importante consommation d’énergie serait causée par la Preuve de travail. Pour la Commission européenne, l’algorithme de consensus du Bitcoin est « relativement obsolète ». En conséquence, l’organisme recommande de s’attaquer « au problème de la forte consommation d’énergie du minage » pour pallier les pénuries d’électricité.
« La Commission demande aux états membres de l’Union de mettre en œuvre des mesures ciblées et proportionnées pour réduire la consommation d’électricité des mineurs de crypto-actifs. En cas de besoin de délestage dans les systèmes électriques, les États membres doivent également être prêts à arrêter l’extraction de crypto-actifs », explique la Commission européenne.
En clair, le rapport estime que l’interdiction du minage de Bitcoin en Europe pourrait éviter les problèmes d’approvisionnement durant l’hiver 2022. Dans le scénario dans lequel le réseau électrique approche de la saturation, les gouvernements doivent être prêts à prendre des mesures radicales contre les mineurs. Notez que la Chine a déjà pris des mesures analogues ces dernières années. Pointant du doigt l’impact environnemental de cette industrie, le régime chinois a fini par bannir toutes les fermes de minage de son sol. Les mineurs se sont rapidement relocalisés à l’étranger, notamment aux États-Unis.
La Commission européenne rappelle que la réglementation Mica (pour “Market in crypto assets”) va améliorer l’encadrement du minage de cryptomonnaies. En vigueur dès 2024, la réglementation va contraindre les acteurs de l’industrie à « divulguer des informations sur l’empreinte environnementale et climatique ». En parallèle, l’UE travaille à l’élaboration d’un « label d’efficacité énergétique pour les chaînes de blocs ». Attendu au plus tôt en 2025, ce label devrait distinguer les blockchains énergivores des blockchains moins gourmandes en électricité.
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Le minage en Europe, un impact limité ?
De nombreux acteurs de l’écosystème crypto sont rapidement montés au créneau pour nuancer le constat du rapport. C’est le cas d’Alexandre Stachtchenko, cofondateur de Blockchain Partner et responsable crypto chez KPMG France. Sur Twitter, l’expert rappelle que les estimations de l’Université de Cambridge surestiment le nombre de mineurs sur le sol européen.
Il va sans dire que, comme à l’habitude, le texte européen raconte des choses fausses.
10% du mining en UE ?
Selon leur propre source, Cambridge, c’est plutôt 7%. Mais bon, hein, ça coûte quoi d’arrondir au dessus et d’ajouter 50% au chiffre ?
7% vraiment d’ailleurs ? https://t.co/cFWKr5cy22
— Alexandre « unhosted » Stachtchenko (@StachAlex) October 18, 2022
Dans son étude, l’université anglaise estime que 10 % des fermes de minage de Bitcoin sont localisées en Europe. Dans le détail, l’Allemagne accueillerait 7 % des installations, contre 2 % pour l’Irlande. De l’aveu des experts de Cambridge, ces chiffres ne sont pas fiables. En effet, de nombreux mineurs s’appuient sur « des réseaux privés virtuels (VPN) ou d’autres services proxy » pour masquer leur véritable localisation. Cambridge souligne d’ailleurs le décalage entre les emplacements obtenus et les installations de minage déclarées.
« Les chiffres de l’Allemagne et de l’Irlande sont largement sur-évalués, car des mineurs opérants dans d’autres pays choisissent de localiser leur IP dans ces pays. C’est notamment le cas des mineurs chinois, pour des raisons évidentes de répression », précise Alexandre Stachtchenko.
Lors d’une conférence au Surfin Bitcoin, Sebastien Gouspillou, co-fondateur de Bigblock Datacenter, une entreprise de minage, a abondé dans le même sens. Le mineur estimait que les chiffres avancés par Cambridge sont erronés :
« Ils se trompent, ils racontent n’importe quoi. Ils se basent sur des adresses IP. Les machines sont toutes localisées là ou les serveurs VPN sont situés ».
En prenant ce constat en compte, Alexandre Stachtchenko estime que l’Europe représente plutôt 1,5 % ou 2 % du hashrate, la puissance du réseau Bitcoin, à l’échelle mondiale. De facto, le minage en Europe accaparerait moins de 0,05 % de l’électricité produite, selon les calculs effectués par l’expert.
Source :
Commission Européenne