Kherson, grande ville du sud de l’Ukraine, est sous le contrôle de l’armée russe depuis le 3 mars. Mais depuis le 30 avril, une autre forme d’occupation s’est ajoutée à celle des soldats russes arpentant les rues : une coupure brutale du trafic Internet a alors été observée dans la localité, avant de revenir à la normale le lendemain. Entre-temps, Kherson Telecom, principal fournisseur d’accès Internet (FAI) de la région, a été remplacé par Miranda-Media, opérateur de Crimée, territoire annexé par la Russie depuis 2014.
A Kherson, quelques jours seulement après la reconnexion par Miranda-Media, les autorités ukrainiennes annonçaient avoir repris le contrôle du réseau et que le trafic était à nouveau géré par le FAI ukrainien d’origine, Kherson Telecom.
Loin de décourager les occupants, c’est un autre opérateur de la région, Status, qui a été contraint par la menace de faire passer son trafic par la Russie. Résultat : depuis le 13 mai, la ville serait effectivement reliée au réseau russe. A l’heure actuelle, le cas de Kherson est le plus documenté : la stratégie de la manipulation des réseaux consiste à « créer une dépendance » et à s’assurer « le contrôle de l’information », observe Louis Pétiniaud, docteur en géopolitique et chercheur au centre Géode, centre de recherche et de formation consacré aux enjeux stratégiques et géopolitiques du cyberespace.
D’autres villes devraient subir le même sort. L’espionnage et la censure sont les principaux objectifs du contrôle d’Internet. Par exemple, la Russie a interdit, après le début de la guerre en Ukraine, l’accès à Facebook, Instagram et Twitter en faisant pression sur ses FAI, afin de juguler les mouvements de protestations et les rassemblements contre la guerre qui ont eu lieu dans les grandes villes russes.
Connecter pour mieux régner
S’il est si simple de manipuler les réseaux, c’est que « le protocole qui permet le routage des données est très peu sécurisé », explique Frédérick Douzet, directrice de Géode et enseignante-chercheuse à l’Institut français de géopolitique, spécialiste des enjeux géopolitiques du cyberespace et des Etats-Unis. Ainsi, pour transiter entre les utilisateurs, les données passent par les câbles qui relient physiquement les pays. Couper un câble revient à altérer fortement l’accès à l’Internet mondial d’un ou plusieurs Etats.
Au-delà de la question des câbles, il y a celle de la communication des machines entre elles, via les systèmes autonomes qui forment le réseau de l’Internet mondial. Ceux-ci sont établis par leurs administrateurs, qui déterminent « leurs politiques de routage en fonction de considérations économiques, techniques et – ou – politiques », précise Frédérick Douzet. Dans un contexte de guerre, elles sont aussi établies sous la contrainte de l’ennemi.
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