C’est un matin d’hiver comme un autre pour Boulet. Un café à la main, devant son ordinateur, l’auteur de bandes dessinées se connecte sur les réseaux sociaux. Mais ce jour-là, un déferlement inhabituel de notifications l’accueille : de nombreux internautes l’informent que son nom apparaît dans une liste de 4 700 artistes, présentée comme une base d’entraînement pour le logiciel Midjourney. « J’ai d’abord été surpris de me retrouver dans une liste à côté de Miyazaki et Mœbius, j’ai cru qu’ils s’étaient trompés de Boulet, se souvient auprès du Monde l’auteur de Notes et Rogatons. Mais après la surprise sont venues la colère, l’indignation et la tristesse. »
Midjourney fait partie, avec Stable Diffusion et DALL-E, des logiciels d’intelligence artificielle (IA) générative les plus populaires : il permet à ses utilisateurs de produire une image avec une simple consigne écrite. Pour fonctionner, ces systèmes sont « entraînés » sur d’immenses bases d’images, en grande partie glanées sur Internet et soumises au droit d’auteur.
Problème : les éditeurs de ces logiciels ne dévoilent pas les données d’entraînement utilisées. Impossible alors pour un artiste de savoir si ses œuvres ont été exploitées, et de réclamer son dû. Sans compter le risque que ces IA font peser sur l’avenir des métiers artistiques. « C’est le capitalisme le plus crasse, dénonce Boulet. Quelques “tech bros” à l’autre bout du monde s’approprient le travail de millions d’artistes sans partager la richesse générée. »
« Ils ont des armées d’avocats »
Ce point de vue, d’innombrables artistes le partagent depuis l’émergence de ces outils grand public, il y a deux ans. Alors la riposte s’organise. Sur le plan judiciaire d’abord : en janvier 2023, trois illustratrices américaines, Sarah Andersen, Kelly McKernan et Karla Ortiz, ont lancé une action de groupe contre Midjourney, Stability AI et DeviantArt, qui commercialisent des logiciels basés sur Stable Diffusion. C’est dans le cadre de cette procédure – à laquelle se sont joints depuis sept autres artistes – que les plaignants ont dévoilé, à la fin de 2023, la fameuse liste des 4 700 noms. Ils la présentent comme un document de Midjourney qui prouverait, selon la plainte, que les œuvres de ces créateurs et créatrices ont servi à « nourrir » le logiciel.
Cette affaire est l’une des plus scrutées aux Etats-Unis, mais des actions en justice, très médiatiques, ont également été lancées dans d’autres domaines que l’image : OpenAI, à l’origine du générateur de texte ChatGPT, est ainsi attaqué par un collectif d’écrivains, parmi lesquels l’auteur de Game of Thrones, George R. R. Martin, et par le New York Times.
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