Avez-vous comme d’autres parents cédés aux sirènes de la montre connectée pour enfants ? Ces dispositifs s’affichent de plus en plus aux poignets des écoliers ou des collégiens. Selon une étude OPEN/Ipsos publiée en avril 2024 par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, 7 à 10 % des enfants français utiliseraient une montre connectée. Myriam* a fait ce choix lorsque son fils était au milieu de son CM1. Pour celle qui vit dans un petit village du nord Aveyron, « ce n’est pas une solution miracle, mais pour l’instant, on y trouve notre compte. C’est compliqué de lui donner de l’autonomie et en même temps, de le protéger ».
Myriam n’est pas la seule à mettre en avant cette double finalité autonomie/protection du mineur. Chez toutes les personnes que nous avons interrogées, la configuration familiale était la même : les enfants étaient en passe de quitter l’école primaire ou arrivaient tout juste au collège. Pour leurs parents, il était hors de question de leur fournir, si tôt, un smartphone. Mais leurs progénitures devaient pouvoir passer un coup de fil en cas d’imprévu, voire de danger, sans tomber dans les méandres du Web comme l’addiction aux écrans ou le cyberharcèlement.
« Une bonne transition avant les réseaux sociaux »
« On a trouvé que la montre connectée était une bonne transition avant que notre fils (aujourd’hui 12 ans) ait un portable, et qu’il soit sans cesse connecté aux réseaux sociaux », confirme Emmanuelle, habitant à Marcillac-Vallon, un petit village à une trentaine de minutes de Rodez (Occitanie). Avec cet appareil, le collégien peut désormais passer des appels, communiquer par SMS ou par vidéo, sous étroite supervision parentale.
Car sur les montres connectées, la notion de « contrôle parental » est poussée à son paroxysme. Les enfants peuvent seulement appeler certains numéros préalablement enregistrés et validés par leurs parents. Chez les détenteurs interrogés, aucun n’avait eu la possibilité d’inclure les amis – un souhait pourtant tenace, pour certains. Seuls les numéros de la mère, du père, des grands-parents ou de quelques membres de la famille triés sur le volet y figuraient. Contrairement aux smartphones, l’enfant ne peut pas se rendre sur le Web ou sur les plateformes, à l’exception, pour certains modèles, de WhatsApp. Les appareils proposent aussi quelques jeux, sur lesquels les enfants ne semblent pas passer des heures, à en croire leurs parents.
À côté de ce verrouillage intensif, la montre connectée pour enfants répond en partie à un besoin, d’ailleurs bien compris et mis en avant par les fabricants. Entre 9 et 12 ans, l’enfant atteint un âge où il commence à tendre vers une certaine autonomie. Au collège, terminé les systèmes de garderie après les heures de classes. Les préadolescents se rendent souvent seuls en cours, en bus, à pied ou à vélo. Parfois, il s’agit d’aller au sport, à l’école de musique, de théâtre, de danse… pendant les heures travaillées des parents.
« C‘est rassurant de pouvoir le contacter à tout moment »
« Jusqu’au CM2, on l’accompagnait dans toutes ses activités », confie Sarah, qui vit à Eaubonne, une petite ville du Val-d’Oise (Ile de France). Désormais, son fils de 11 ans marche pendant une vingtaine de minutes seul, pour se rendre en classe — un copain l’accompagne sur les trois quarts du chemin. Même topo pour son basket, ou sa musique. Et si autrefois, il était possible en cas de problème de passer un coup de fil grâce aux cabines téléphoniques, ces dernières ont quasiment totalement disparu de l’espace urbain. Comment alors prévenir de « l’absence d’un prof » ou d’un bus raté ? La montre connectée permet de passer le coup de fil qui évitera aux parents de se faire un sang d’encre. « C‘est rassurant de pouvoir le contacter à tout moment », reconnait d’ailleurs Sarah, dont le fils vient d’entrer au collège.
Et contrairement « à un téléphone (bloqué) qu’il pourrait perdre », l’appareil est à son poignet, ajoute-t-elle. « L’objectif, c’était juste qu’il puisse appeler s’il y a un souci, comme une chute de vélo », confirme Myriam*, qui travaille à la mairie de son village, Espalion (Occitanie). La montre est désactivée pendant les horaires de classe. Elle est parfois laissée dans une box en arrivant au collège, au même titre qu’un smartphone, rapporte-t-elle. L’idée est de ne pas déconcentrer l’enfant ou de perturber le bon déroulé d’une classe.
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« Ma fille a plus joué avec l’emballage qu’avec la montre connectée »
Parfois, la mayonnaise ne prend pas : « ma fille a plus joué avec l’emballage qu’avec la montre connectée », nous confie ce père de famille, dont l’enfant, entré en 6e, n’a finalement pas souhaité mettre à son poignet « le gadget ». Même son de cloche chez Karine, dont la fille au collège a déjà un portable sans internet. « Ma fille m’a demandé à la rentrée une montre connectée. Je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu, pour les jeux. Évidemment, ça a été non », tranche la quinquagénaire.
Mais chez d’autres parents, la montre connectée n’est pas seulement un moyen de passer des appels téléphoniques. La majorité de ces appareils propose une fonction de géolocalisation. La montre nous a permis de « suivre le parcours de notre fils de 11 ans », nous détaille par exemple Myriam. « Au début, lorsqu’il allait au tennis, on vérifiait juste qu’il était bien arrivé », indique-t-elle, les terrains se trouvant à plusieurs centaines de mètres du domicile. « On peut aussi définir un périmètre déterminé : si l’enfant sort de la zone, on reçoit une alerte », poursuit-elle.
Bien que les montres soient dotés de traceurs GPS, peu de parents sollicités déclarent l’utiliser quotidiennement. Tous nous rapportent d’ailleurs que ces systèmes « ne fonctionnent pas très bien » — ils ne seraient pas très précis.
La « croyance tenace que la géolocalisation empêcherait la survenue d’un événement » tragique
Pourtant, les dispositifs de géolocalisation – à savoir les montres, les airs tags et divers traceurs GPS – seraient utilisés par près d’une famille sur trois en France, selon l’étude de 2024 de l’Observatoire de la parentalité : 32 % des parents interrogés déclarent utiliser des « logiciels d’espionnage (géolocalisation, tracker, etc.) » sur leurs enfants.
Un succès qu’explique facilement Yann Bruna, sociologue à l’université Paris Nanterre, qui a réalisé plusieurs enquêtes sur les systèmes de surveillance numérique. « Il y a cette croyance tenace que la géolocalisation empêcherait la survenue d’un événement » tragique. Mais il n’en est rien, ajoute-t-il, prenant exemple du meurtre de la jeune Louise dans les Yvelines, survenu au printemps dernier. Le système de géolocalisation dont la jeune fille était dotée n’a malheureusement pas permis aux forces de l’ordre d’arriver à temps.
Mais avec la montre connectée au bras de son fils, Myriam, comme d’autres parents, l’affirme : « je suis rassurée. Et mon enfant aussi ». L’appareil « lui a permis de prendre confiance en lui, et de rester parfois seul à la maison », poursuit-elle.
Il y a en effet une sorte de paradoxe : malgré leur caractère liberticide, ces technologies répondent « parfois à une demande de réassurance des jeunes », analyse le sociologue Yann Bruna. Dit autrement, cela rassure l’enfant de pouvoir appeler ses parents en cas de problème, et de se savoir géolocalisé, du moins pendant un temps. Une analyse que nous confirme Emmanuelle, à propos de son fils de 12 ans : « Ce matin justement, mon enfant a remarqué avant de partir qu’il avait oublié de recharger la batterie de la montre la veille. Je lui ai dit, “laisse-la à la maison et charge-la”. Il m’a répondu, presque affolé : “Mais comment je vais faire” ? », rapporte celle qui travaille dans le secteur médical.
« Une balance à trouver entre fournir un élément mouchard et le bien-être de l’enfant »
N’y a-t-il pas un danger à habituer son enfant à avoir un dispositif tel, sans lequel il se sentirait plus démuni dans l’espace public ? Pour le sociologue Yann Bruna, pas forcément. « La demande de la déconnexion à la géolocalisation peut justement venir du jeune ou de la jeune, lorsqu’il ou elle estime que : “ça y est, j’ai passé l’âge, je n’ai plus ce besoin”. Donc le besoin de réassurance dure un temps, il s’effrite avec le temps », souligne-t-il.
La possible dépendance aux objets numériques n’est pas la principale problématique soulevée par les montres connectées : ces appareils, ainsi que les dispositifs similaires de traceurs GPS, sont souvent analysés comme des menaces pour les libertés individuelles, à l’image de la vie privée. La CNIL, le gardien de nos données personnelles, préconise par exemple, dans un avis publié en septembre dernier, un dialogue avec l’enfant, avant la mise en place de toute géolocalisation.
En droit français, on considère que ce type de dispositif ne doit pas être disproportionné – un suivi permanent par les parents le serait. Ce point est d’ailleurs directement mis en avant par Benoît Grunemwald, spécialiste de cybersécurité chez ESET: « il y a des points de vigilance qui sont à rappeler sur ces technologies qui finalement sont de plus en plus intrusives quant à la vie privée de l’enfant. Et il y a effectivement une balance à trouver entre fournir un élément mouchard et le bien-être de l’enfant ».
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Il faut dire que la technologie actuelle est réellement disruptive, estime Yann Bruna, maître de conférences en sociologie à Nanterre : « la montre connectée est d’abord un outil de surveillance, c’est de l’exercice parental qui va continuer la surveillance au-delà du domicile, quelque part. Elle permet une surveillance des activités et des déplacements des enfants à l’extérieur du domicile familial alors que jusqu’à présent, les technologies dites de contrôle parental encadraient les usages au sein du foyer familial, en fixant des temps de consoles de jeu. Et là, on a une technologie qui opère un certain basculement, puisque désormais, les parents acquièrent une visibilité particulièrement précise sur ce qui se fait à l’extérieur du domicile ».
Sur certaines montres, des appels espions possibles
Parfois, la frontière entre visibilité et espionnage est ténue. Une étude menée par l’association de protection des consommateurs suisse KTipp, publiée le 19 août dernier, a révélé qu’une partie des montres connectées pour enfants, qui se trouvent sur le marché suisse, présentait des failles de sécurité importantes. Il était parfois possible de réaliser des écoutes arbitraires, sans que le porteur (l’enfant) s’en aperçoive.
L’organisation a demandé à la société Compass Security d’étudier 11 montres dont les marques Apple, Xplora, Okyuk, Anio et TCL. Sur 6 d’entre elles, les testeurs ont pu écouter, en toute discrétion, les porteurs de la montre, en passant notamment par l’application de téléphone mobile associée à l’appareil. Une fonctionnalité de l’appli permet littéralement de passer des appels espions : « on se connecte à la montre, et on écoute l’environnement de l’enfant, sans que l’appareil n’affiche d’appel », explique l’un des analystes de sécurité, interrogé par le magazine suisse.
En théorie, ces montres permettraient donc aux parents ou à des tiers d’écouter ce qui se passe dans les cours à l’école, ou de suivre les conversations de leurs enfants. En Allemagne, certains de ces modèles ont d’ailleurs été interdits, après des cas de parents espionnant littéralement des enseignants.
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À côté du prix de la montre connectée, la sécurité à prendre en compte
Si ces cas peuvent paraître extrêmes et exceptionnels, la vigilance doit être de mise. Et quand cela est possible, le prix ne doit pas être le seul critère d’achat. « Nous avons payé la montre 72 euros. Pour le prix, ça fait le job. C’est même moins cher qu’un téléphone », confirme Sarah. Chez les autres parents interrogés, les prix oscillaient entre 70 et 110 euros – mais on trouve dans le commerce des modèles de montres connectées pour enfants allant de 10 à 300 euros.
« Quand on choisit un objet connecté comme une montre, d’autant plus s’il est au bras ou au poignet de notre enfant, il faut bien prendre en considération d’autres éléments. La sécurité et le soin apporté à la sécurité par l’éditeur (du logiciel et de l’application associés, NDLR) et le fabricant » sont cruciaux, rappelle Benoît Grunemwald, expert en cybersécurité chez ESET France, qui vend des solutions de cybersécurité.
« Il faut aussi aller regarder du côté des mises à jour : si on va sur le site du fabricant, on regarde combien de mise à jour ont été proposées, combien ont été rendues disponibles sur les six derniers mois », insiste-t-il. « Une firme comme Apple, qui vraiment a des bons développeurs, qui met à jour régulièrement (ses produits et logiciels), a régulièrement des failles qui vont être corrigées. Mais est-ce qu’un petit éditeur de montres a cette capacité, à la fois, de trouver les failles, et de les corriger », interroge-t-il.
D’autres questions se posent : où sont stockées les données de votre enfant, et par qui ? Comme l’adage « si c’est gratuit, c’est vous le produit », il faut garder à l’esprit que « moins le produit sera cher » avance l’expert, « et moins la sécurité, qui est coûteuse pour le développeur, sera prise en compte ».
* Le prénom a été modifié.
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