Une bande dessinée, un film à gros budget, un jeu vidéo. Il ne manquait plus qu’à Scott Pilgrim une série d’animation. C’est chose faite depuis la mise en ligne par Netflix, vendredi 17 novembre, des huit épisodes de Scott Pilgrim prend son envol.
Né en 2004 sous la plume du dessinateur Bryan Lee O’Malley, ce comics en six tomes est devenu un bonbon, une référence de la pop culture de cette époque. Scott Pilgrim, c’est l’histoire d’un Canadien de 23 ans, nonchalant bassiste dans un groupe de rock, qui voit sa vie transformée en véritable tournoi digne d’un jeu vidéo lorsqu’il rencontre la mystérieuse Ramona Flowers. Car avant de pouvoir filer le parfait amour avec elle, Scott Pilgrim va devoir affronter en duel tous les ex de sa nouvelle conquête.
Au-delà de la bande dessinée, c’est aussi son adaptation fidèle en long-métrage par le créatif Edgar Wright (Shaun of the Dead, Hot Fuzz, Baby Driver) en 2010 avec Michael Cera dans le rôle principal qui a hissé Scott Pilgrim au rang d’œuvre culte. « A sa sortie, le film a connu peu de succès en salle, bien qu’il ait suscité beaucoup d’enthousiasme et reçu un très bon accueil critique », rappelle Nicolas Labarre, professeur de civilisation américaine à l’université Bordeaux Montaigne et spécialiste de la bande dessinée (BD). Selon lui, malgré quelques succès d’audience (Sin City), les films faisant se rencontrer cinéma et BD – à l’instar d’American Splendor (2003) ou Dick Tracy (1990) – rencontrent rarement le grand public.
Une œuvre hybride
Scott Pilgrim a d’abord détonné à sa sortie dans les rayons de BD américains, plutôt habitués à héberger des fascicules en couleurs. Les planches de Bryan Lee O’Malley, jeune dessinateur de 25 ans à l’époque, sont en noir et blanc et dans un format plus proche du manga (la BD sera colorisée dans les éditions suivantes). Si l’auteur ne cache pas être un amateur de BD japonaise et un fan de la mangaka Rumiko Takahashi, son choix fut d’abord économique : « Le noir et blanc permettait de faire baisser les frais de production », expliquait-il au Monde en 2019. Il n’en reste pas moins que des albums hybridant « roman graphique autofictionnel et le format comme la légèreté de ton du manga », selon les termes de Nicolas Labarre, sont encore rares au moment de la première parution de Scott Pilgrim.
Pour mettre en scène les affrontements avec les prétendants de Ramona Flowers, Bryan Lee O’Malley s’est fortement inspiré des mécanismes des jeux vidéo des années 1980 et 1990, notamment du jeu de combat River City Ransom (1990), sorti sur la console NES, de Nintendo. Si les références aux jeux de rôle ou aux quêtes étaient plutôt monnaie courante dans la BD, Scott Pilgrim utilisait alors des éléments de manière assez originale, comme les typographies pixélisées que l’on retrouve par exemple sur les « game over », la prise de points d’expérience ou les barres de niveau de vie. La musique indie rock est également omniprésente dans cette série, une autre marotte d’O’Malley, qui a d’ailleurs baptisé son héros d’après une chanson de Plumtree, un de ses groupes favoris.
« La série était basée sur ma propre vie, mais je voulais la rendre plus fun, donc j’ai essentiellement mixé un tas de concepts tirés de jeux vidéo, d’animes et de mangas [à mon] quotidien », défendait en 2019 le bédéiste. Scott Pilgrim joue sur une nostalgie pour le retrogaming « au moment où celle-ci commence à s’installer de façon générale, contextualise Nicolas Labarre. C’est une époque où sortent plein d’émulateurs [programmes permettant de jouer, sur un ordinateur, à des jeux sortis sur des consoles anciennes] par exemple ». Pour le professeur, Scott Pilgrim débarque également à une époque où, en Amérique du Nord, le monde de l’édition « se réoriente, délaisse une vision très masculine de la BD et s’ouvre à plus de créatrices et à un lectorat plus adolescent », citant par exemple des autrices comme Jillian et Mariko Tamaki.
Nostalgie et références multiples
Scott Pilgrim met ainsi à l’honneur une forme d’adolescence tardive. Pour Ryan Lizardi, professeur assistant au SUNY Institute of Technology (New York), qui écrivait en 2012 dans le Journal of Graphic Novels and Comics, « Scott doit faire face à son passé à travers des flash-backs, des références visuelles et narratives constantes aux jeux vidéo vintage, son incapacité à grandir par rapport aux autres personnages ».
Bien qu’ultra référencée, Scott Pilgrim n’est pas non plus une série qui invoque ses influences de façon élitiste. Il n’est, en effet, pas nécessaire d’être initié au rock indé, au manga ou au jeu vidéo pour en apprécier l’intrigue ou les personnages. L’œuvre n’en reste pas moins un produit encapsulé dans son époque. « Scott Pilgrim est très centré sur lui, il représente une sorte de classe bohème canadienne. Il n’est pas certain que son insouciance colle à notre nouvelle époque », nuance ainsi Nicolas Labarre.
A première vue, cette nouvelle adaptation cherche plus à satisfaire le public de la première heure et épingler à son tableau une pépite culturelle que conquérir une plus jeune audience. La plate-forme semble avoir collé au matériau, à la décennie et à l’intrigue d’origine (à cette exception notable que Ramona ne travaille plus pour Amazon mais pour Netflix) ; elle a aussi réuni le casting d’acteurs du film de 2010 pour doubler ses personnages.
Mais si Scott Pilgrim passera peut-être désormais inaperçu auprès des jeunes générations, c’est aussi parce que tous ses ingrédients novateurs ou marquants lors de sa création ont depuis fait largement recette. Et Bryan Lee O’Malley de confier au Monde en 2019 : « Les trucs geeks n’étaient pas très répandus en 2004. Scott Pilgrim était un peu en avance sur son temps ; je me suis trouvé au bon endroit, au bon moment. (…) Il a toujours du sens pour les gens. Après, il est vrai que le temps a bien passé : c’était avant les smartphones et YouTube. »