Cofondateur du géant des processeurs Intel, l’Américain Gordon Moore est mort à l’âge de 94 ans. Ayant quitté depuis longtemps les commandes du géant des semi-conducteurs, il laisse cependant dans l’histoire une loi qui porte son nom. Et qui reste au cœur des préoccupations de l’industrie : l’augmentation continue de la puissance de nos ordinateurs.
Intel est en deuil. Gordon Moore, cofondateur et emblématique dirigeant (de 1975 à 1987) du géant des processeurs, est mort le 24 mars à l’âge de 94 ans, ont annoncé Intel et la fondation Gordon & Betty Moore. Si vous suivez l’actualité des processeurs, la « loi » de Moore vous est sans doute familière. C’est en effet Gordon Moore qui a théorisé – par la constatation des évolutions technologiques – la fréquence du doublement du nombre de transistors et donc des performances des microprocesseurs. Initialement énoncée pour une période de dix ans, cette loi dont la dernière révision date de 1975 prévoit que la puissance des processeurs doublerait tous les deux ans. Et quoique chahutée par des limites techniques et la physique elle-même, cette « loi » reste toujours d’actualité.
Gordon Moore est un des pionniers du monde des semi-conducteurs. Avant de fonder Intel en 1968, il a travaillé pour l’un des inventeurs des transistors, William Shockley. Ainsi que pour Fairchild Semiconductor, une entreprise qui a fini, comme Philips aux Pays-Bas ou Thomson en France, par essaimer ses talents dans le reste du pays – Intel est un des héritiers directs de Fairchild Semiconductor. Par le succès de l’entreprise qu’il a contribué à faire briller, ainsi que par la qualité de ses prédictions, Gordon Moore est un géant dans le monde des IC – pour circuits intégrés (integrated circuits). C’est aussi un mythe pour Intel. Ainsi, la direction du groupe a donné à son nom, en 2022, au nouveau campus de ses usines dans l’Oregon aux Etats-Unis.
Une loi morte mille fois
La fin ou la « mort » de la « Loi de Moore » est annoncée tous les ans depuis plus de deux décennies. L’an dernier, c’était le PDG de Nvidia qui promettait sa fin lors d’une conférence de presse. Pourtant, 2023 sera l’année qui verra le lancement de la production de masses de puces en 3 nm et les performances continuent de progresser à un rythme toujours soutenu, moindre, il est vrai, que par le passé. Fini les dizaines de pourcents automatiquement gagnés par la réduction des circuits, aujourd’hui les ingénieurs utilisent tous les axes de progrès possibles : à la gravure s’ajoute la complexité des architectures, l’hétérogénéité des éléments logiques (SoC, lire ci-dessous), l’empilement des puces (chiplets), ou encore le logiciel.
Les défis de l’ère Angström
Quand Gordon Moore a fondé Intel, la taille des circuits s’exprimait en dizaines de micromètres. Quand il a quitté la direction de l’entreprise en 1987, l’industrie venait tout juste d’arriver à l’ère nanométrique, avec des puces gravées en 0,8 micron, soit 800 nm. Monsieur Moore vient de mourir au moment même où l’industrie devrait livrer une masse de puces gravées 266 fois plus finement en 3 nm. Une incroyable performance qui ne doit cependant pas occulter les « murs » qui attendent le monde des semi-conducteurs.
Car le passage à « l’ère Angström » comme la nomme Intel ne va pas être aussi facile que les décennies précédentes. Si des micromètres (10-6) nous sommes passés ensuite aux nanomètres (10-9), la prochaine unité est plus modeste – les angströms, une unité non issue du système international qui représente 10-10. Une manière d’éviter les virgules : après le 2 nm, Intel prévoit le 18 angströms (18A) qui équivaut à 1,8 nm.
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Pourquoi changer d’unités ? Parce que les prochaines étapes sont de vrais sauts dans le vide. Le passage du 3 nm à 2 nm n’est pas une simple soustraction de « 1 » : cela représente une réduction de la taille des circuits de 33% ! En face des scientifiques, des ingénieurs, et autres chercheurs, un premier adversaire de taille : la physique et les limites des connaissances humaines. Toute l’industrie se bat à améliorer les procédés de fabrication, qu’il s’agisse de développer de nouvelles machines, de nouveaux logiciels, ou pour trouver de nouveaux matériaux. Si la physique est l’ennemi technique ultime, il en est un autre qui est, lui, profondément humain : l’économie.
La loi de Moore va-t-elle se fracasser sur un Rock ?
Après que la loi de Moore s’est enracinée dans les esprits, une autre loi en est née : celle du coût de la production. Elle a été énoncée par Arthur Rock, un investisseur dans les semi-conducteurs de la première heure qui avait parié sur des entreprises telles qu’Intel bien sûr, mais aussi Apple ou Teledyne. Manque de chance pour nous, sa loi se formule ainsi : « Le coût des usines de fabrication de semi-conducteur double tous les quatre ans ». Et l’homme, qui approche désormais son centenaire, a tapé dans le mille : les coûts des usines s’envolent. Le futur site allemand d’Intel de Magdebourg devrait ainsi coûter aux alentours de 30 milliards de dollars.
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Si l’inflation actuelle pousse évidemment les prix à la hausse, c’est surtout l’incroyable complexité et technicité des procédés qui sont en causes. Un cabinet d’analyse estimait récemment que le coût de développement d’une puce en 5 nm tourne aux alentours du demi-milliard de dollars… avant même d’avoir lancé la production. La production en question repose aujourd’hui, pour les puces les plus avancées, sur des machines de pointe dont l’incontournable scanner (ou stepper) EUV du Néerlandais ASML. La seule machine au monde à pouvoir graver des circuits avec les rayonnements ultraviolets extrêmes – donc toutes les puces en dessous de 5 nm. Ces précieuses machines, sources de toutes les convoitises, se négocient aux alentours de 180 millions d’euros pièce… et il en faut plusieurs pour faire tourner les mégafabs de TSMC et Samsung qui sortent des millions de puces par mois.
Si ces machines sont si coûteuses, c’est pour la nature et la précision des instruments – les lentilles de l’optique qui dirige les rayons sont des bijoux, les miroirs sont polis pour offrir une surface plane à plus ou moins 20 picomètres ! Mais, outre leur prix d’achat, les scanners ASML sont des monstres de consommation énergétique : aux kiloWatts, puis centaines de kiloWatts, des scanners EUV précédents, l’ère de l’EUV fait passer la consommation à 1,5 mégaWatt par machine !
Et si ASML et ses partenaires travaillent sur les prochaines générations de machines, le PDG actuel, Martin van den Brink, expliquait à bits-chips.nl en septembre dernier que « technique, c’est faisable [mais] si le coût des scanners hyper-NA (actuellement à l’état de développement, NDLR) augmente de la même façon que ce que nous avons vu pour les scanner high-NA (à la pointe actuellement, NDLR), cela sera tout bonnement infaisable économiquement », explique celui qui a accompagné le succès des scanners EUV high-NA actuels. En d’autres termes, c’est entre ses mains que se trouve la survie de la fameuse loi de Moore. Mais Gordon Moore, lui, ne peut plus mourir : il est entré dans l’Histoire.
Source :
Intel