Le nouveau processeur quantique “Osprey” d’IBM affiche 433 qubits, soit le triple de la version “Eagle” de 2021. IBM promet une montée en puissance au-delà de 1 000 qbits dès 2024 pour développer des systèmes de plusieurs dizaines de milliers de qubits à partir de 2026. Et enfin accoucher d’un ordinateur quantique qui change réellement la donne ?
« On est au point où notre mission est désormais une destination atteignable et non un rêve ». Cette phrase de Jay Gambetta, grand chef du quantique chez IBM, résume à elle toute seule les ambitions de la firme dans ce domaine. Alors que nombre de voix ne cessent d’expliquer depuis des années que ce type d’informatique est une impasse, IBM lance le processeur quantique le plus performant de l’histoire, triplant le nombre de qubits de la génération précédente.
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Osprey de son petit nom – l’oiseau de proie appelée balbuzard pêcheur en français – est le nouveau champion d’IBM. Comme prévu sur la feuille de route qu’il communique depuis plus de deux ans maintenant, Osprey affiche 433 qubits au compteur. Un an tout juste après avoir annoncé Eagle et ses 127 qubits, IBM tient (à nouveau) ses promesses et lance une puce incommensurablement plus puissante. Une exception dans un monde quantique qui semble, à côté d’IBM, avancer à tâtons.
Combien de fois Osprey est-il plus puissant qu’Eagle ? Disons que théoriquement, chaque qubit ajouté double la puissance du système. Même si vous sortez votre calculatrice, le chiffre que vous obtiendrez ne sera qu’indicatif. Cela nous renseigne tout de même sur l’extraordinaire montée en puissance de l’architecture quantique d’IBM – l’intraduisible « scalability » ! Et surtout que cette puissance, selon les mots de Jay Gambetta, va enfin permettre « de faire des choses (concrètes) avec ces machines ».
Un processeur, de nouveaux câbles et un futur contrôleur
Si on devait physiquement détailler le processeur Osprey, on pourrait dire qu’il s’agit de trois puces Eagle en une seule. Ce qui est déjà un exploit en soi, car l’intrication quantique pèse lourd – chaque qubit ajouté peut être une source de déstabilisation du système. Mais loin d’être uniquement un simple grossissement d’une puce précédente, Osprey profite de nombreuses avancées. Qu’il s’agisse de la réduction et la mitigation des erreurs*, de la réduction de la profondeur des circuits ou encore d’une horde d’améliorations logicielles (deux nouvelles primitives pour le kit de développement Quiskit), IBM a travaillé tous azimuts. Le logiciel est, autant que le matériel, une clé de la réussite des systèmes quantiques. « Nous avons travaillé sur la vitesse, les systèmes de contrôle, le moteur quantique ou encore la compilation », explique Oliver Dial, chercheur chez IBM. « En profitant de l’expérience acquise avec Eagle, nous avons pu avancer très vite. Et parfois multiplier la vitesse de notre code par 10 ».
Le processeur, le logiciel, c’est très bien, mais IBM a aussi travaillé sur des éléments qui semblent plus triviaux, comme… les câbles. Car il faut savoir que dans le cas des processeurs quantiques, l’état de chaque qubit doit-être connu et piloté. Si c’était déjà un défi avec les 27 qubits de Condor, les 433 qubits d’Osprey représentent un défi d’une tout autre magnitude. Voilà pourquoi IBM a réuni les nombreux câbles de contrôle en une seule « super nappe ». Loin d’être une simple agrégation de fils comme les nappes IDE de nos vieux disques durs, il s’agit d’une pièce d’orfèvre, mélange de haute technologie et d’artisanat comme seule la recherche peut en produire. Car la tâche est autant de grouper physiquement les connexions, que de les isoler pour éviter toute perturbation des signaux entre eux.
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Un autre progrès encore à l’état de recherche, lui, est le développement d’une puce de contrôle. Un « CryoCMOS » capable de fonctionner à 4°K (ça fait -269°C quand même). Une température à la fois bien plus élevée que le cryostat qui est à quelques microkelvins (quelques microdegrés au-dessus du zéro absolu !), mais qui est largement inférieure à ce que peuvent encaisser les puces classiques.
L’intérêt de cette puce actuellement à l’état de prototype sera de faire baisser considérablement la facture énergétique des ordinateurs quantiques. Car les systèmes actuels sont des gouffres. Non seulement il y faut compter sur le système de réfrigération, ou encore les composants « classiques » qui pilotent la partie quantique. Mais surtout les contrôleurs des qubits consomment 100 W chacun. Dans le cas d’un processeur comme Osprey, cela représente donc 433 fois 100 W ! La promesse de cette future puce CryoCMOS miniature est assez magnifique puisqu’elle ne consommerait que 10 mW par qubit. Vous vous demandez peut-être comment il est possible d’envisager des progrès d’une telle magnitude ? Tout simplement parce que, dans le domaine de l’ordinateur quantique, il reste énormément de choses à inventer et développer.
Au-delà de la recherche : construire toute une filière
La situation est clairement exprimée par Aparna Prabhakar, vice-présidente en charge des partenariats autour du quantique : « L’ordinateur quantique n’est pas qu’une simple révolution technologique, mais bien la création d’une industrie complète ». Si, comme nous, vous n’avez jamais créé d’industrie, la tâche peut paraître dantesque. Et elle l’est, mais IBM connaît le chemin. « Pour construire une industrie, nous devons nous créer des compétences, former les étudiants et les chercheurs », continue Mme Prabhakar. Elle se félicite que plus de 460 000 utilisateurs ont utilisé les ressources de calcul quantiques mise en ligne par IBM depuis 2016. Ou des 1 750 papiers de recherche publiés par l’entreprise par ses 34 centres d’innovation quantique dont elle dispose dans le monde.
Une avalanche de chiffre qui démontre les efforts de l’entreprise dans le domaine. Mais qui n’occulte pas le fait que le futur de l’écosystème dépend d’un millier de briques. Allant de la physique des matériaux au développement de câbles, en passant par des puces conventionnelles ou supraconductrices. Mais si la route est encore longue, IBM est confiant et a encore et toujours, une feuille de route bien précise.
IBM System Two, un nouveau mètre étalon de puissance quantique
En plus d’accoucher d’Osprey en cette fin 2022, IBM nous tease l’an prochain non pas uniquement un processeur, mais aussi un tout nouvel ordinateur. Ou plutôt un monstre de plusieurs mètres carrés appelé, de manière fort peu inspirée, « IBM System Two ». Imaginez les premiers ordinateurs des années 50, mais avec une allure encore plus futuriste et des photos numériques HD couleurs plutôt que des images en noir et blanc. Mais vous voyez le genre : de grosses armoires avec en son sein un Graal : le cryostat.
Au cœur de cette enceinte proche du zéro absolu, ce sont non pas un mais jusqu’à trois processeurs quantiques – sans préciser s’il s’agira d’Osprey ou de son successeur, Condor. Mieux : System Two est un appareil modulaire, qui peut fonctionner en trio. De quoi faire fonctionner neuf processeurs quantiques de concert, permettant d’atteindre jusqu’à 16 632 qubits – vous comprenez pourquoi le contrôleur CryoCMOS est important pour faire baisser la facture énergétique, hein ?
4 158 qubits dès 2025 !
La feuille de route implacable d’IBM est sans doute ce qui impressionne le plus le néophyte qui suit le sujet depuis quelques années. Non seulement l’entreprise arrive à monter en puissance, mais elle le fait de manière quasi métronomique, sans un retard depuis des années. Aussi, on connaît d’ores et déjà la puce qu’IBM devrait annoncer l’an prochain : le puissant Condor. Un composant qui sera le premier à dépasser les 1 000 qubits puisqu’il s’affichera à 1 121 qubits.
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Cette architecture qu’IBM a fait grandir d’année en année – les puces sont physiquement de plus en plus grosses – devrait laisser la main à une nouvelle structure pré-parallélisée en 2024 avec Flamingo et ses 1 386 qubits. Une nouvelle architecture qui sera ensuite reproduite, mais poussée un cran plus loin en 2025 avec les 4 158 qubits de Kookaburra (l’oiseau sacré des aborigènes d’Australie).
Et pendant que les ingénieurs et chercheurs qui travaillent sur le matériel seront à pied d’œuvre, ceux qui participent à l’environnement logiciel promettent des applications quantiques officiellement opérationnelles la même année (2025). Avant le « grand saut » au-delà de 2026 où la montée en puissance des systèmes d’IBM dépassera plusieurs dizaines de milliers de qubits. Un seuil à partir duquel on devrait enfin voir la toute puissance de l’ordinateur quantique se déployer.