Depuis la crise du Covid-19 et les confinements, associations (e-Enfance, Les Papillons, etc.) et services de police spécialisés ont constaté une hausse exponentielle des signalements concernant la pédocriminalité en ligne. Selon l’Union européenne, les contenus pédopornographiques sur le Net (dont une forte proportion concerne les 7-10 ans) ont augmenté de 6 000 % en dix ans rien qu’en Europe. Murielle Thiebierge-Batude, consultante en cybersécurité, a fondé l’association #IWAS en avril 2022 pour repenser les approches stratégiques de lutte contre la pédocriminalité et cyberpédocriminalité.
Pourquoi vous êtes-vous engagée dans ce combat contre la pédocriminalité ?
Parce que je me suis retrouvée moi-même dans cette situation : entre mes 4 et 5 ans, j’ai été violée à plusieurs reprises par un photographe de 35 ans, ami de mes voisins. Ces derniers lui servaient de rabatteurs et m’ont livrée à cette personne, notamment lors d’un week-end à la campagne où ils étaient censés me garder. Mes parents n’avaient pas connaissance du fait que j’étais mise au contact et à disposition de cet homme régulièrement. Je n’ai recollé les morceaux de ce vécu traumatique que fin 2017, après trente-six ans d’amnésie. J’ai porté plainte, mais les faits étaient prescrits.
Mon association se concentre particulièrement sur la nipiocriminalité (du grec Nēpios, qui signifie « petit enfant »), c’est-à-dire la pédocriminalité sur les enfants pré-verbaux, entre la naissance et deux ans. Voilà pourquoi aujourd’hui j’utilise mon réseau, mes compétences, et je rassemble des adhérents experts et professionnels autour de ce sujet vital.
Selon vous, est-ce que le regard de la société a changé sur ces crimes ?
L’avantage, avec le numérique, c’est que cela contribue à une prise de conscience de l’ampleur du phénomène. Les CSAM [Child Abuse Sexual Material, soit des photos ou vidéos qui montrent un enfant sur lequel on commet un acte sexuel] pullulent sur Internet et le darknet. Il y a des catégories de vidéos : 0-2 ans, 3-5 ans, etc. C’est pareil que sur une boutique en ligne. Ces crimes ont désormais une matérialité, à travers notamment les vidéos et photos de viols d’enfants qui s’échangent sur les forums de pédocriminels dans le cyberespace. Ces enfants existent, on ne peut donc plus les ignorer, et ces contenus constituent des preuves signées.
Quels sont les objectifs d’#IWAS ?
Il est urgent de développer un véritable système global de défense des enfants. Notre but, c’est de créer une méthodologie et des outils numériques à destination de tous les acteurs (pouvoirs publics, entreprises, associations, services de police, éditeurs de logiciels, etc.), et en coopération avec eux, afin de prévenir ces crimes en amont, sur le modèle de ce qui existe dans la lutte contre la cybercriminalité économique ou la cyberdéfense militaire.
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