C’est inexplicable. Pour celles et ceux qui sont pris pour cible, le harcèlement est incompréhensible. Si elles se souviennent qu’un obscur prétexte a bien été avancé par le premier de leur bourreau pour justifier le lancement des hostilités, les victimes ne sont jamais en mesure de l’expliquer. Et pour cause : les torrents de violence qui se déversent sur les réseaux sont, le plus souvent, parfaitement gratuits.
Les agresseurs en mal de puissance ont trouvé sur Internet un terrain de jeu inespéré. Ils s’y glissent en tout anonymat, se soulagent de quelques insultes proférées contre leurs cibles préférées (femmes, étrangers, homosexuels, juifs, artistes…), jouissent du spectacle que leur offre l’agonie de leur proie et repartent satisfaits, impunis, noyés dans la masse de leurs semblables.
Les victimes, elles, sont laissées pour mortes sur le bord du réseau, abandonnées à leur sort. Et qu’elles ne s’avisent pas de se plaindre de ce qui leur arrive ! Après tout, elles n’avaient qu’à ne pas s’inscrire sur ces réseaux, tout le monde sait bien ce qui s’y passe. Et pourquoi n’ont-elles pas bloqué les commentaires et les messages désobligeants, plutôt que de s’en plaindre ? Pourquoi ne pas s’être tout simplement désinscrit, si c’était à ce point insupportable ? Au fond, elles l’ont quand même un peu cherché. Cette petite musique n’est pas sans rappeler les jupes trop courtes des femmes violées.
Certes, les pouvoirs publics ont identifié le problème et pris des mesures pour tenter d’endiguer ces flots déchaînés : un pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH) a été créé au sein du parquet de Paris et des services d’enquête se sont spécialisés sur ces sujets, permettant d’engager plus efficacement des poursuites pénales.
Poursuites trop tardives
Mais cela reste insuffisant : d’une part, l’ampleur du phénomène ne permet pas de renvoyer devant le tribunal correctionnel l’intégralité des auteurs, trop nombreux ; d’autre part, les poursuites interviennent trop tard, et n’ont donc pas l’effet dissuasif indispensable pour faire cesser les raids numériques et en limiter les dégâts.
En d’autres termes, l’Etat de droit ne parvient pas à asseoir son autorité numérique et, par conséquent, à protéger ses citoyens adeptes des réseaux sociaux. Il existe toutefois des solutions pour juguler ce phénomène.
D’abord, en responsabilisant davantage les plates-formes elles-mêmes : au même titre qu’un directeur de publication est responsable de ce qui paraît dans son journal, les plates-formes et leurs dirigeants doivent être tenus de répondre de leurs actions – ou plutôt, de leur inaction – lorsqu’un raid numérique est porté à leur connaissance.
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