Au fil de ses années de lobbying, Jean-Pierre Duthion s’est fait beaucoup d’amis. Beaucoup d’ennemis, aussi. Et souvent, ce sont les mêmes personnes. Parmi ses anciens partenaires d’affaires et connaissances, un portrait identique revient invariablement : côté pile, le Jean-Pierre Duthion charmeur, drôle, plein de bagou, qui a le tutoiement facile, vous appelle « frère » au bout d’une heure et vous assaille d’anecdotes incroyables ; côté face, le Jean-Pierre Duthion vantard, qui ne tient aucune de ses nombreuses promesses, et qui peut se montrer sanguin au point de vous proposer de régler des désaccords sur un ring de boxe.
« Jean-Pierre est un gars attachant, mais c’est un dingue. C’est un immense séducteur, il sait comment vous parler pour vous faire chavirer, raconte Stéphane C., un ancien élu local lyonnais reconverti dans le consulting sportif, qui a fait sa connaissance au début des années 2020. Il savait que j’étais au Parti socialiste, il m’a parlé de son engagement dans la campagne de Jospin en 2002, il a instauré une complicité politique. Par la suite, dans toutes nos interactions, il ne me parlait que de droits de l’homme. Un jour, il me parle de la situation à la tête d’Interpol, et il me demande d’écrire une tribune qu’on ferait signer par des élus. »
Le sujet est l’un de ceux que le Qatar souhaite mettre en avant pour critiquer ses rivaux saoudien et émirati. La tribune, contre la nomination du général émirati Ahmed Naser Al-Raisi à la tête d’Interpol, sera publiée dans Le Monde, en juin 2021. « Jean-Pierre m’a alors donné 5 000 euros en liquide, j’ai commencé à me poser des questions », explique l’auteur du texte.
« Il m’a roulé »
A la même époque, Jean-Pierre Duthion lui fait miroiter de possibles contrats dans le sport : il se targue de contacts haut placés au Paris Saint-Germain (PSG) et au Qatar, et lui fait rencontrer le lobbyiste de l’émirat, Nabil Ennasri. Ensemble, ils évoquent de grands projets sportifs au Qatar, axés sur le développement durable et la modernisation du pays. « Ils m’ont dit : “Pas de problème, tu viens au Qatar, on va te présenter le ministre des sports.” » Aucun projet n’aboutira jamais. « J’avoue, Jean-Pierre m’a fasciné, mais il m’a roulé : il m’a vendu l’accès à un des plus gros organisateurs de sport au monde, un truc de progrès et de droits de l’homme, et derrière, il y avait tout un mécanisme d’influence dégueulasse. »
Dans d’autres cas, les désaccords seront bien plus virulents. Fin 2022, Jean-Pierre Duthion et un autre lobbyiste « pitchent » un plan de communication aux équipes du général « Hemetti », l’homme fort du Soudan, par ailleurs accusé de crimes de guerre, qui envisage de concourir à l’élection présidentielle. Le projet, grandiloquent et mal ficelé – les lobbyistes français s’y vantent d’avoir des contacts à un très haut niveau à la Maison Blanche comme au Kremlin –, est retoqué.
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