La bulle de l’IA n’a pas encore éclaté, mais…

La bulle de l'IA n'a pas encore éclaté, mais...



L’engouement quasi irrationnel pour l’IA va-t-il, oui ou non, finir en bulle sur le point d’éclater ? Cette semaine, le patron de Nvidia, le champion américain des puces électroniques, est venu balayer le scénario catastrophe. Alors qu’il présentait, mercredi 19 novembre, de très bons résultats trimestriels, Jensen Huang, à la tête du fabricant de ces composants essentiels à l’intelligence artificielle (IA), l’a martelé : « on a beaucoup parlé d’une bulle de l’IA. De notre point de vue, les choses sont très différentes ».

Avec des résultats qui ont dépassé les attentes du marché, l’entreprise, qui pèse à elle seule deux fois plus que le CAC 40, les 40 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Paris, est venue chasser les nuages noirs… du moins pour quelques heures. Car ce vendredi 21 novembre, le secteur de la tech était à nouveau en repli sur les bourses mondiales, faisant à nouveau peser l’idée d’une bulle qui pourrait, finalement, éclater. Ces dernières semaines, plusieurs oiseaux de mauvais augure avaient laissé présager un tel scénario.

Déjà, c’est quoi une « bulle » ?

Dans un secteur donné, une « bulle » se crée lorsque la majorité des financiers misent massivement sur la même technologie dont ils espèrent toucher, à moyen terme, un retour sur investissement. Leurs investissements monstres font monter la valorisation des entreprises du secteur. Le tout crée un scénario extrêmement (trop) optimiste qui peut, à un moment donné, tourner au vinaigre. Comme une bulle de savon, les capitalisations montent, montent, jusqu’à ce que le vent tourne. À partir de là, tout le monde essaie de vendre ses actions, ce qui fait effondrer leurs valeurs et donc la valorisation boursière des entreprises. Dans un tel cas, on dit que la bulle a éclaté.

Dans l’histoire (internet dans les années 2000, les chemins de fer au XIXe siècle), le scénario est le même : on pense faire face à une innovation technologique qui va révolutionner l’économie. On est persuadé que cette technologie va générer des profits importants, sur lesquels on va miser, mais qui n’arriveront peut-être jamais.

Et si, ces derniers mois, on a de plus en plus entendu parler d’une « bulle de l’IA », c’est d’abord parce que des investisseurs clés de la tech comme SoftBank, ou le fonds de Peter Thield (le milliardaire de la Silicon Valley), ont décidé de retirer leurs billes des entreprises d’IA. Le financier Michael Burry a, ensuite, jeté un froid sur les marchés financiers. 

L’Américain, connu pour avoir prédit la crise des subprimes de 2008 (il s’est, par la suite, systématiquement trompé) a, ni plus ni moins, parié un milliard de dollars sur la chute des actions de deux acteurs majeurs du secteur : Palantir et Nvidia. Le PDG de Google a, lui aussi, participé à l’inquiétude générale en déclarant que le boom actuel de l’IA présentait une certaine « irrationalité ». Et que tout géant qu’il était, son entreprise n’était pas, non plus, à l’abri de l’éclatement d’une telle bulle.

Mais ça, c’était avant. Avant les bons résultats de Nvidia de mercredi, qui ont rassuré les investisseurs et le monde économique, du moins pendant quelques heures. Car dès jeudi 20 novembre, le répit a pris fin. Les valeurs de la tech ont à nouveau chuté à Wall Street et sur les Bourses asiatiques ce vendredi 21 novembre, démontrant que l’inquiétude quant à un éclatement ou pas d’une bulle IA est encore là. 

Trois bulles pour le prix d’une

Avec le boom de l’IA, plusieurs bulles se superposeraient : il y aurait d’abord la bulle spéculative, qui s’explique aisément. Depuis des mois, des milliards de dollars sont investis dans le secteur de l’IA. Selon le cabinet Gartner, les dépenses dans ce secteur devraient atteindre des seuils jamais vus : 1 500 milliards cette année, 2 000 milliards en 2026, soit près de 2 % du PIB mondial. Cet afflux inédit fait mathématiquement monter la valorisation boursière (la valeur affichée en bourse) des entreprises du secteur comme OpenAI, qui a développé ChatGPT, et Nvidia, le fabricant de semi-conducteurs.

Cette bulle est, en plus, alimentée par les acteurs du secteur eux-même, dans une sorte de vase clos. Les uns investissent dans les autres qui réinvestissent dans les premiers, qu’ils soient clients, fournisseurs, actionnaires ou partenaires. Nvidia a ainsi investi 100 milliards de dollars dans OpenAI, qui compte investir 300 milliards de dollars dans Oracle pour construire des data centers, qui promet lui-même d’acheter des puces Nvidia pour ses centres de données… De quoi créer une communauté de fournisseurs et de clients tous connectés les uns aux autres. Tous ont donc intérêt à ce que la frénésie de l’IA continue.

À cela s’est ajoutée une bulle des politiques publiques : tous les gouvernements investissent aussi massivement dans l’IA, et invitent leurs entreprises locales à faire de même. Aujourd’hui aux États-Unis, le gouvernement de Donald Trump est un fidèle soutien des géants de l’IA. La France et la Commission européenne ont publié des stratégies d’IA qui incitent aussi les acteurs économiques à investir dans cette technologie.

L’éclatement de la bulle est-il alors totalement écarté ?

Pas vraiment. À la publication des résultats de Nvidia, il y a eu un réel soulagement. Mai le répit n’a pas duré,  car le lendemain, les valeurs de la tech sur les places boursières sont reparties à la baisse. Chez les économistes, certains défendent la thèse d’un simple réajustement. La bulle n’éclaterait pas mais se rétracterait légèrement. C’est notamment l’avis de l’économiste Julien Pillot, pour qui « cette bulle, bien loin d’éclater, pourrait – au mieux (ou au pire) – légèrement dégonfler », écrit-il sur LinkedIn.

Car contrairement au crack boursier de la bulle internet, les acteurs impliqués dans l’IA (Nvidia, Alphabet, Amazon, Microsoft) sont déjà surpuissants, en plus d’être soutenus par le gouvernement de Donald Trump. Dans les années 2000, la frénésie d’investissements et de survalorisations boursières concernaient surtout des start-up dont les reins n’étaient pas solides. Aujourd’hui, une partie des acteurs du secteur de l’IA sont des géants qui gagnent déjà de l’argent dans leur cœur de métier (les semi-conducteurs, les logiciels, l’e-commerce, le cloud, la publicité ciblée etc), ils peuvent donc investir (pour l’instant à perte) dans l’IA générative.

Mais pour d’autres, le crack boursier, et donc l’éclatement de la bulle, s’il a été évité cette semaine, n’est pas totalement exclu. Il pourrait encore avoir lieu. Certains s’inquiètent notamment d’OpenAI, l’entreprise qui a développé ChatGPT, décrit comme « pure player » du secteur (la société n’a, elle, pas d’autres activités très rentables à côté de l’IA générative). Bien que soutenue ou associée avec des géants du numérique plus solides (comme Microsoft), elle est encore loin d’être rentable, alors qu’elle investit des centaines de milliards de dollars. Pour certains, c’est cette entreprise qui risque de tomber, avant d’impacter potentiellement les autres dans un effet domino.

À noter aussi qu’un autre élément inquiète : le fait que désormais, le secteur commence à emprunter, alors que les investissements étaient, jusqu’à présent, faits sur des fonds propres. Depuis septembre, Meta, la maison mère de Facebook et WhatsApp qui développe un modèle de langage, Llama, emprunte pour financer ses nouveaux centres de calcul, à hauteur de 30 milliards de dollars. Et si les actionnaires et les investisseurs peuvent attendre que les entreprises de l’IA soient rentables avant de toucher des dividendes (leur retour sur investissement), les prêteurs, eux, auront moins de patience. Ils pourrraient saisir les actifs pour être remboursés si les gains tardent à arriver. De quoi, là aussi, créer le début d’un effet domino. Aujourd’hui, aucune entreprise de l’IA, que cela soit OpenAI, Anthropic, xAI ou encore Mistral, ne fait de profits.

Dans un tel cas, qui paierait les pots cassés ? Les entreprises du secteur, elles-même, mais aussi tous ceux qui y ont mis des billes, comme les fonds de pension (donc, les retraités américains), les fonds souverains, les États, et peut-être, en bout de chaîne, les consommateurs.

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