Les ingénieurs de Huawei auraient réussi à développer une suite d’outils logiciels nécessaires à la conception et à la production de puces. Pas encore que quoi graver les processeurs de pointe, mais largement de quoi commencer à construire une indépendance technologique jusqu’à 14 nm.
Un tour de force : c’est ce qu’aurait réalisé le géant chinois des technologies Huawei en développant le premier logiciel chinois de conception et production automatisé de puces (EDA) selon Caijing cité par Reuters. En quoi un logiciel peut-il diable être si capital ? La complexité exponentielle des microprocesseurs les plus avancés qui comptent parfois dizaines de milliards de transistors impose l’usage de programmes très complexes. Qui sont, au grand dam de la Chine, largement sous contrôle occidental – essentiellement américain. Ces précieux outils numériques font l’objet de restrictions, voire d’embargo selon la nationalité et la nature des entreprises. Et évidemment, Huawei ainsi que de nombreux acteurs chinois en sont privés.
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Prise sous les feux juridiques et économiques du gouvernement du président Trump, Huawei fut l’entreprise la plus touchée par les sanctions américaines. Pour plusieurs raisons, comme ses liens supposés avec le gouvernement chinois. Mais, du point de vue technologique, aussi et surtout parce qu’il s’agissait du seul acteur à être capable de faire cavalier seul dans le domaine de la conception de puces. C’est en effet la division HiSilicon de Huawei qui a su, avant tout le monde (même Qualcomm), intégrer un modem 5G directement au cœur de ses processeurs de smartphones (appelés SoC). Concevant tous les semi-conducteurs du groupe, HiSilicon s’est vu interdire l’accès aux usines de TSMC et Samsung (et donc l’accès aux meilleures machines), mais aussi l’usage des logiciels EDA dont nous vous avons récemment parlé.
Un timing au poil
Il y a à peine une semaine, nous vous parlions de la volonté américaine de priver totalement la Chine des logiciels d’Electronic Design Automation (EDA) occidentaux. Un durcissement supplémentaire des relations technologiques entre les deux pays. Car sans logiciel EDA moderne, point de puces de pointe. Si la Chine dispose de quelques logiciels sur place, ceux-ci sont bien moins développés et performants que leurs équivalents américains, allemands ou français.
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C’est là que Huawei est logiquement entré en jeu. Car si vous considérez l’entreprise comme un simple vendeur de smartphones, vous faites erreur : le chinois est le numéro 2 mondial de la R&D. Et son savoir-faire acquis par sa division HiSilicon est unique en Chine – ses puces étaient non seulement les plus avancées du pays, mais aussi parmi les plus complexes du monde !
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Grâce à son armée d’ingénieurs, l’entreprise a développé 78 outils logiciels de conception de puces et pilotage de machine taillées pour la production de puces jusqu’en 14 nm. Une suite de programmes qui devraient passer l’épreuve du feu dans le courant de l’année. Et donner à des acteurs locaux comme SMIC la garantie de pouvoir continuer leur activité même en cas de « découplage » total de la part des USA.
Vers le DUV… et l’au-delà ?
Dans l’histoire des technologies de production de puces, nous avons connu une révolution silencieuse il y a quelques années. Le néerlandais ASML, déjà numéro 1 mondial des machines « classiques » à ultraviolets profonds (DUV, Deep Ultraviolet) a en effet réussi le tour de force de concevoir une machine fonctionnant avec un laser ultraviolet dit extrême. Ce passage du DUV à l’EUV ne s’est pas fait en un jour : théorisé des décennies auparavant, l’usage des EUV n’était alors qu’un rêve. Devenu une réalité pour les entreprises qui peuvent faire appel aux fonderies de TSMC ou Samsung, les seuls à maîtriser le procédé à l’heure actuelle. Or, l’accès à ces usines est en tout ou partie interdit aux entreprises chinoises, ainsi que l’accès aux machines EUV d’ASML – ainsi que les logiciels EDA américains.
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Entravés par les USA, les Chinois ont pour l’heure fait leur deuil de la gravure EUV et sont passés en mode « achat compulsif » de toutes les machines DUV disponibles sur le marché. Qu’elles soient neuves (mais les USA font pression sur les Pays-Bas et le Japon pour y mettre un terme) ou d’occasion. Même avec les logiciels EDA de Huawei, la Chine restera donc dépendante d’acteurs étrangers pour sa filière de semi-conducteurs.
Cette dépendance, la Chine la vit (évidemment) très mal et le président Xi a débloqué d’énormes budgets pour que les acteurs locaux développent des alternatives. Et en matière de machines, la révolution est déjà en marche : outre les logiciels EDA dont nous faisons l’écho aujourd’hui, on sait que Huawei travaille en sus sur la gravure… EUV. Le chinois a en effet déjà commencé ses dépôts de brevets dans le domaine ! Difficile de savoir si la Chine arrivera à se mettre au niveau du reste du monde. Ou si, privée de coopération, elle sera cantonnée à courir après le « bloc » pro-américain. Mais une chose semble sûre : les ingénieurs du pays, et plus particulièrement du champion Huawei, sont bien décidés à relever le défi.
Source :
Reuters