Du cloud, de la location et des intermédiaires : comment des groupes chinois spécialisés dans l’IA sont parvenus à échapper aux sanctions américaines qui interdisent, normalement, les exportations de puces électroniques.
Au jeu du chat à la souris, ce n’est pas toujours le chat qui gagne. Alors que Washington – le chat – n’a de cesse de durcir les règles pour mettre la Chine et ses entreprises technologiques – la souris – sur la touche, notamment en les privant de composants de pointe, des groupes chinois auraient trouvé un moyen efficace de contourner ce blocus. Leur technique : passer par des intermédiaires, et louer au lieu d’acheter, afin d’accéder aux fameuses puces électroniques de dernière génération. Le 1er septembre dernier, une loi américaine ajoutait aux exportations interdites les puces destinées à l’intelligence artificielle, privant la tech chinoise des puces de Nvidia Corp et de Advanced Micro Devices. Un mois plus tard, Washington ajoutait à ces restrictions les équipements de fabrication de puces avancés et des semi-conducteurs haut de gamme – dont les fameuses puces A100 de Nvidia utilisées dans les modèles d’IA générative tels que ChatGPT d’OpenAI.
En théorie, donc, les puces A100 de Nvidia ne devraient plus pouvoir être achetées par des entreprises chinoises visées par ces sanctions. En théorie, toujours, ni iFlytek, une société développant des systèmes de reconnaissance vocale chinoise – soutenue par Pékin – ni SenseTime, un groupe travaillant sur la reconnaissance faciale, ne devraient avoir accès à ces A100. Mais selon le Financial Times, qui a pu avoir le témoignage de plusieurs employés de ces deux entreprises, ces nouvelles règles n’auraient pas empêché ces sociétés de continuer à travailler sur l’IA. Elles auraient même continué à développer leurs applications et services. La raison : l’accès à ces puces interdites n’aurait jamais été interrompu, en raison de pirouettes juridiques.
« C’est comme un système de location de voitures »
Puisqu’elles n’ont plus le droit d’acheter directement ces puces, les entreprises chinoises sanctionnées les louent. Des sociétés tierces, qui ne sont pas sujettes à ces restrictions américaines, achètent ces composants aux États-Unis, vraisemblablement en toute légalité. Elles les mettent ensuite à disposition des entreprises chinoises dans le cloud, moyennant finance. Une heure d’accès à huit puces Nvidia A100 est facturée, par exemple, 10 dollars. « iFlytek ne peut pas acheter les puces Nvidia, mais ce n’est pas un problème parce qu’elle peut les louer et entraîner ses ensembles de données sur les clusters d’ordinateurs d’autres entreprises », a confirmé un cadre de l’entreprise à nos confrères. « C’est comme un système de location de voitures. Vous ne pouvez pas sortir les puces de l’installation. Il s’agit d’un énorme bâtiment avec plein d’ordinateurs, et vous achetez du temps sur les CPU [unités centrales de traitement] ou les GPU [unités de traitements graphiques] pour former les modèles », a-t-il ajouté.
iFlytech, selon l’un de ses ingénieurs, « loue les puces et l’équipement à long terme, ce qui revient en fait à les posséder ». Et cette entreprise serait loin d’être la seule à recourir à ce système de location via le cloud. Selon une source du Financial Times, les nouvelles sanctions américaines ont multiplié la mise en place de ce type de services, qui stockent puis louent des puces Nvidia. SenseTime, qui fait aussi partie de la liste noire de Washington, a utilisé une technique plus classique. La société est passée par une de ses filiales, non visées par les sanctions américaines, pour commander ces puces. Sa filiale a ensuite racheminée les composants interdits vers SenseTime.
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Ces pratiques dans une zone grise
Si cette dernière estime respecter toutes les règles en vigueur, ni iFlytek, ni le porte-parole du ministère américain du commerce n’ont souhaité commenter cette affaire. Nvidia, de son côté, a expliqué ne pas pouvoir contrôler chaque utilisation future ou chaque revente de ses puces. Mais « nous exigeons de nos distributeurs qu’ils respectent toutes les règles américaines en matière d’exportation et que ces derniers ne vendent qu’à des clients commerciaux, consommateurs et universitaires appropriés », a ajouté la société.
Ce type de location, qui contourne les sanctions américaines, est-il légal ? Ce n’est en tous les cas pas strictement interdit, a répondu un expert en contrôle des exportations, contacté par nos confrères. Selon lui, les restrictions de Washington ne s’appliquent pas aux fournisseurs de cloud. Ces deux cas illustrent à quel point ces groupes s’engouffrent dans les « failles » du système de sanctions américaines – des failles pas forcément illégales, mais vraisemblablement dans une zone grise… sur laquelle la tech chinoise s’est faufilée sans difficulté.
Source :
Financial Times