Faut-il davantage critiquer la technologie et résister à la numérisation de nos vies ? Les auteurs du livre Techno-luttes. Enquête sur ceux qui résistent à la technologie (Seuil, Reporterre, 224 pages, 12 euros) répondent sans ambiguïté par l’affirmative. « Nous sommes sortis de la techno-passivité béate des années 1990 et 2000. Quelque chose est en train de se passer », écrivent Fabien Benoit, journaliste pour Arte et auteur de The Valley. Une histoire politique de la Silicon Valley (Les Arènes, 2019), et Nicolas Celnik, journaliste indépendant, collaborateur notamment de Libération.
La domination du Web par Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA) ainsi que la prolifération des écrans et des algorithmes ont engendré un « techlash » qui profite aux « technocritiques », notent-ils. « Quand nous avons commencé à travailler sur ces questions [en 2013], la majorité des gens voyaient encore la numérisation comme quelque chose de positif. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui », estime dans l’ouvrage Matthieu Amiech du collectif Ecran Total, qui entend « résister à la gestion et l’informatisation de nos vies ».
Le livre fait un tour d’horizon des « techno-luttes » : des militants contre la surveillance, comme l’association la Quadrature du Net qui s’oppose à la reconnaissance faciale et aux smart cities ; des vigies de l’addiction aux écrans comme le collectif Lève les yeux ! ; des activistes comme L’Atelier paysan, qui développe « l’autoconstruction d’outils agricoles low tech » contre l’agriculture « high-tech » ; des saboteurs de trottinettes électriques ou encore le groupe Faut pas pucer, contre le puçage électronique des animaux d’élevage ; ou des critiques de la numérisation de l’éducation. Certains sont connectés à travers le collectif Ecran Total, inspiré des anti-OGM.
Les auteurs décrivent aussi les anti-5G, favorables aux recours contre les antennes, voire à leur sabotage, ou les anti-Linky, réfractaires aux compteurs d’électricité connectés. Ces deux « mouvements hétéroclites » sont comparés à celui des « gilets Jaunes », car « à l’origine d’une démocratisation de la critique du numérique ».
« Le modèle amish »
Certes, ces mobilisations ne sont pas nouvelles : dès le début du XIXᵉ siècle, les luddites s’étaient opposés à la mécanisation des métiers à tisser, en Angleterre. Et les militants d’aujourd’hui ont des motivations hétérogènes : pour Linky, elles sont écologiques, sanitaires ou liées à la protection de la vie privée. Certains points sont discutables. « Les risques sanitaires liés aux ondes sont un sujet complexe », notent les auteurs. Enfin, la technologie apporte bien sûr des bénéfices, réclamés par des habitants de « zones blanches » mal connectées…
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