Intel envisage de scinder sa division de fabrication, Intel Foundry, face à des difficultés technologiques et financières. De quoi s’interroger sur sa compétitivité future, la perte de l’intégration verticale et l’impact sur l’image de marque du géant américain des semi-conducteurs.
Intel, géant américain des microprocesseurs, se trouve à la croisée des chemins. Après le départ brutal le premier décembre dernier de son PDG, Pat Gelsinger, la direction intérimaire assurée par Michelle Johnston Holthaus et David Zinsner envisage sérieusement de scinder la branche fabrication de l’entreprise. Cette décision, lourde de conséquences, pourrait marquer un tournant majeur dans l’histoire du fabricant. Le contexte de cette possible scission est marqué par des difficultés croissantes pour Intel : l’entreprise a perdu sa position de leader dans la fabrication de puces face à la concurrence féroce de TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) et a plus ou moins raté le boom de l’intelligence artificielle, un marché aujourd’hui dominé par NVIDIA dont les produits sont devenus la référence. Ces revers se traduisent par une perte de valeur boursière considérable pour Intel qui n’est désormais plus que l’ombre de lui-même, au point d’être la cible d’un rachat potentiel de la part de rivaux historiques.
Intel Foundry : une scission réussie présente des avantages potentiels
Face à des difficultés croissantes et à la perte de sa position dominante, l’entreprise américaine se trouve donc confrontée à un choix crucial : conserver son modèle intégré de conception et de production ou se séparer de sa division de fabrication. Plusieurs facteurs plaident en faveur de cette dernière option, qui pourrait s’avérer inévitable pour sa survie. Le retard technologique d’Intel face à son principal concurrent TSMC s’est traduit par une perte de performance – et donc de compétitivité – de ses puces, la forçant à externaliser la production de certains de ses produits chez son rival, une situation qui a forcément fragilisé l’image d’Intel et érodé sa rentabilité. La scission permettrait à l’entreprise de s’affranchir de ses usines de fabrication, parfois considérées comme obsolètes, et de profiter des technologies de pointe de fondeurs spécialisés comme TSMC.
La concentration sur le cœur de métier est une autre raison avancée par les partisans de la scission : en se séparant d’Intel Foundry, l’entreprise pourrait réserver ses ressources sur la conception de puces, son domaine d’expertise historique. Libérée des contraintes de la production, Intel pourrait ainsi consacrer davantage d’investissements à la recherche et au développement de nouvelles architectures de processeurs, plus performantes et innovantes. Cette stratégie lui permettrait de rivaliser plus efficacement avec ses concurrents, comme AMD et NVIDIA, des entreprises fabless qui se concentrent déjà sur la conception de puces. L’entreprise américaine est d’ailleurs souvent critiquée pour sa complexité et son manque d’agilité. La séparation d’Intel Foundry lui permettrait de simplifier sa structure organisationnelle, ce qui se traduirait par une réduction des coûts de gestion et une meilleure allocation des ressources. L’entreprise pourrait ainsi gagner en flexibilité et en réactivité, face à un marché des microprocesseurs en constante évolution.
La division de fabrication d’Intel est actuellement principalement utilisée pour la production des puces de l’entreprise et sa capacité à attirer des clients externes est limitée par le manque d’indépendance et la perception d’un retard technologique. La scission d’Intel Foundry lui permettrait de devenir une entité autonome capable de prospecter plus efficacement de nouveaux clients. Et ce potentiel de croissance n’est bien entendu pas pour déplaire aux investisseurs : les actionnaires d’Intel ont en effet subi une perte de valeur importante ces dernières années, conséquence du lent déclin de l’entreprise. Ils exercent donc une pression croissante sur la direction pour redresser la situation et retrouver la rentabilité d’antan. La scission d’Intel Foundry est perçue comme une solution radicale, mais potentiellement efficace pour relancer la croissance de l’entreprise. La vente de cette division pourrait générer des liquidités importantes, qui pourraient être investies dans le développement de nouvelles technologies ou dans des acquisitions stratégiques.
La scission d’Intel Foundry reste un pari risqué semé d’embûches
Si cette opération présente des avantages potentiels pour l’entreprise en difficulté, elle est également confrontée à de nombreux obstacles qui pourraient compromettre sa réussite. L’un des défis majeurs concerne par exemple la compétitivité d’Intel Foundry en tant qu’entité indépendante. Son succès dépendra en effet fortement de la capacité de sa technologie de gravure 18A à combler le fossé technologique qui sépare Intel de son rival taïwanais. Si le fondeur ne parvient pas à rattraper son retard, l’attrait d’Intel Foundry pour les clients externes sera limité, la condamnant à une lutte acharnée sur un marché déjà dominé par des géants tels que TSMC, Samsung et GlobalFoundries.
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L’aspect financier de la scission représente un autre obstacle de taille : moderniser les usines de fabrication et continuer à développer des technologies de pointe pour concurrencer les leaders du marché exigera des investissements colossaux. Trouver les ressources financières nécessaires pour mener à bien cette transition coûteuse sera un défi de part la pression constante sur les marges bénéficiaires dans l’industrie des semi-conducteurs. La scission pourrait au passage affecter l’éligibilité d’Intel aux subventions du CHIPS Act, un programme gouvernemental américain visant à soutenir la production nationale de semi-conducteurs.
Sur le plan stratégique, Intel a toujours mis en avant la synergie entre la conception et la fabrication de ses puces comme un atout majeur. Se séparer d’Intel Foundry remettrait en question cette intégration verticale, rendant l’entreprise plus dépendante de fournisseurs externes et potentiellement plus vulnérable aux fluctuations du marché. La réorganisation nécessaire à la création d’une nouvelle entité autonome représente d’ailleurs un défi supplémentaire : la mise en place de nouvelles structures de gouvernance et la coordination entre Intel et Intel Foundry seront cruciales pour la réussite de la scission. Cette transition pourrait également entraîner des pertes d’emplois et une délocalisation de la production, ce qui risque de susciter des résistances de la part des syndicats et des employés. Certains dirigeants d’Intel, comme Michelle Johnston Holthaus, restent même sceptiques quant à une séparation totale d’Intel Foundry, arguant qu’un lien étroit entre la conception et la fabrication est essentiel à l’image de marque de l’entreprise, symbole de l’industrie américaine des semi-conducteurs. Intel devra donc redoubler d’efforts pour communiquer de manière transparente sur les raisons de cette décision et rassurer les investisseurs et les clients quant à ses perspectives d’avenir.
La scission d’Intel Foundry apparait dans tous les cas comme une opération complexe, risquée et pleine d’incertitudes. L’entreprise devra surmonter de nombreux obstacles technologiques, financiers, stratégiques et organisationnels pour mener à bien cette transition, si elle doit s’opérer. La décision finale dépendra de la capacité d’Intel à élaborer un plan solide pour garantir la viabilité et la compétitivité d’Intel Foundry en tant qu’entité indépendante.
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Source :
Reuters