L’heure est à la spéculation, voire à l’angoisse, sur l’impact futur de l’intelligence artificielle sur nos vies et sur nos emplois. Alors qu’un millier d’experts du domaine – chercheurs, entrepreneurs – ont appelé, le 28 mars, à une pause du développement de l’intelligence artificielle, il peut être utile de revenir sur les enseignements à tirer d’une autre révolution technologique récente, celle de la mécanisation des emplois par l’introduction de robots et autres machines autonomes – révolution que celle de l’intelligence artificielle pourrait bien renforcer.
De façon intuitive, la théorie économique prédit que les emplois qui sont remplaçables par les robots, typiquement ceux exécutés par des ouvriers peu qualifiés effectuant des tâches répétitives, disparaîtront. Au contraire, les salariés dont les tâches sont complémentaires aux robots, typiquement les cadres et les ingénieurs responsables de la conception, de la gestion et de la commercialisation sur les marchés de la production des robots, bénéficieront des gains de productivité et verront leurs salaires et perspectives d’emploi s’améliorer.
Les conséquences redistributives de la robotisation seraient alors claires, pénalisant les moins qualifiés et profitant aux plus qualifiés, et surtout aux détenteurs de capitaux (et de robots). L’impact global sur l’emploi, lui, dépendrait de l’impact net de l’effet substitutif (négatif) sur les emplois peu qualifiés et de l’effet (positif) des gains de productivité dus aux machines sur la demande de cadres qualifiés.
Augmentations de la valeur ajoutée
Les études empiriques confirment que l’effet global sur le marché du travail est bel et bien ambigu – tout autant destructeur que créateur d’emplois. Mais pour des raisons et par des mécanismes tout autres que ceux prédits par la théorie. En effet, le clivage ne se situe pas entre les emplois substituables et les emplois complémentaires à la technologie, mais entre les entreprises qui adoptent la technologie et celles qui ne l’adoptent pas.
En France comme aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas, les études s’accordent sur le fait que la robotisation profite à la productivité des entreprises qui adoptent ces technologies et à l’emploi – à tous les emplois – dans ces entreprises-là. Elles connaissent, en effet, de fortes augmentations de leur valeur ajoutée (de 20 % entre 2010 et 2015 en France), augmentent leur demande de travail (de 10,9 %) et gagnent des parts de marché. Tout cela au détriment non pas principalement des employés peu qualifiés, mais des entreprises compétitrices retardataires sur la technologie et de tous les employés de ces compétiteurs, qualifiés ou non.
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