Selon le Washington Post, l’homme derrière la fuite de documents secrets du gouvernement américain serait un certain « OG », un américain âgé d’une vingtaine d’années, passionné par les armes à feu et travaillant sur une « base militaire ». Le quotidien américain a recueilli les témoignages de deux personnes d’un groupe animé par « OG » – qui en regroupait une vingtaine, principalement des hommes et des adolescents – sur un serveur Discord, créé en 2020, pendant la pandémie. Le point commun : leur amour mutuel des armes à feu, du matériel militaire et de Dieu.
La publication, depuis le 1er mars, de plusieurs dizaines de documents marqués « confidentiel », présentés comme émanant des services de renseignement américains et censés montrer des extraits de rapports confidentiels réalisés par les Etats-Unis sur la guerre en Ukraine, surprend et inquiète les alliés. Selon les deux sources anonymes du Washington Post, « OG » a publié pendant des mois des centaines de documents qui semblaient être des transcriptions intégrales de renseignement classifiés ramenés de son travail. Il voulait « nous tenir au courant » des actions du gouvernement, explique l’un des témoins, mineur, interviewé par le Washington Post – le même affirme qu’« OG » ne s’est jamais positionné comme un lanceur d’alerte.
Discord coopère avec les forces de l’ordre
Le jeune homme se dit impressionné par la capacité qu’avait « OG » à prévoir les événements majeurs avant qu’ils ne fassent la « une » des journaux, des informations que « seul quelqu’un avec ce genre d’accréditation élevée » aurait pu connaître. Le Washington Post rapporte qu’« OG » passait des heures à l’intérieur d’une installation sécurisée où l’utilisation de téléphones portables et d’appareils électroniques, est interdite. Il annotait certains des documents, traduisant le jargon codé pour le rendre accessible aux membres du groupe Discord. « Si vous avez accès à des documents classifiés, vous avez un peu envie de vous faire mousser, de la ramener », ajoute le témoin.
« C’est une personne intelligente. Il savait ce qu’il faisait lorsqu’il a publié ces documents, bien sûr. Il ne s’agit pas de fuites accidentelles », explique le jeune homme au Washington Post. Fin 2022, face au manque visible d’intérêt de son audience et à la lourdeur de retranscrire et résumer les documents, « OG » a commencé à en publier des photos. Une démarche moins chronophage mais plus risqué, chaque photo contenant des détails dont l’exploitation faciliterait l’identification de son auteur.
Les deux témoins interrogés par le Washington Post disent connaître l’identité d’« OG » ainsi que l’Etat dans lequel il réside et travaille. « Il est armé. Il est entraîné », ajoute une des deux sources. Dans une vidéo visionnée transmise au Post, « OG » se tient dans un stand de tir, lance une bordée d’injures racistes et antisémites avant de tirer plusieurs balles sur une cible.
Les deux membres du groupe Discord ont refusé de partager ces informations avec le quotidien américain. De son côté, Discord a déclaré dans un communiqué qu’il coopérait avec les forces de l’ordre et a refusé de réagir aux révélations du journal.
Enquête similaire de Bellingcat
Le témoin interviewé par le Washington Post raconte qu’il fait a connaissance d’OG il y a environ quatre ans, sur un autre serveur destiné aux fans d’Oxide. C’est ce qu’écrivait Bellingcat il y a déjà quatre jours. Selon une enquête fouillée du site spécialisé dans l’enquête en sources ouvertes, les documents pourraient être initialement apparus avant le 1er mars sur un petit serveur Discord, un outil prisé des amateurs de jeux vidéo permettant de créer des forums et des espaces de discussion.
Ce serveur, baptisé « Thug Shaker Central » et dont le contenu a depuis été effacé, réunissait une vingtaine d’internautes, tous fans d’un youtubeur appelé Oxide, qui s’est fait connaître en publiant des vidéos du jeu War Thunder et qui consacre désormais sa chaîne à des séquences de paintball et de reconstitutions militaires. Les participants à ce groupe restreint, composé d’Américains mais aussi de jeunes étrangers, partageaient de mêmes centres d’intérêt pour les armes, le paintball (ou airsoft) et les reconstitutions militaires (Milsim), ainsi que pour certains jeux vidéo populaires. Des traces laissées en ligne sur des réseaux sociaux par des participants présumés à ce forum de discussion, et que Le Monde a pu consulter, contiennent de multiples messages ultraconsevateurs et des allusions racistes.
Une partie des fichiers a été ensuite republiée au début du mois de mars sur un autre canal Discord, « Wow Mao ». Aujourd’hui renommé, vraisemblablement nettoyé pour supprimer les documents concernés et surtout inondé par des mèmes, Wow Mao est une communauté assez restreinte et dédiée au youtubeur philippin éponyme.
Puis, le 4 mars, une partie des photographies sont apparues sur un autre serveur, nettement plus fréquenté, consacré aux cartes pour le jeu vidéo Minecraft, « Minecraft Earth Map ». Dans quel contexte ont pu y être diffusés des documents potentiellement confidentiels issus du Pentagone ? Les rares captures d’écran disponibles, dont une a été diffusée par Bellingcat ainsi qu’un autre observateur sur Twitter, laissent penser à un échange attenant à la guerre en Ukraine entre membres du forum, sans que l’on sache quel était le contexte réel de la discussion. Le lendemain, certains des fichiers étaient publiés sur le forum anglophone 4chan/pol/, prisé de l’extrême droite américaine, ainsi que sur des canaux Telegram pro-Poutine.