Gare aux détails de vocabulaire qui peuvent tout changer en fait: c’est le sens de la réaction du Conseil national du logiciel libre (CNLL, qui indique fédérer plus de 300 entreprises), qui «alerte les pouvoirs publics sur les dangers liés à l’emploi du concept de « communs numériques » dans les politiques publiques. Cette terminologie cache, sous les apparences de comportements vertueux, la réalité d’exclusions stratégiques dont les éditeurs de logiciels libres font les frais, exclusion qui menace la croissance, l’innovation et la souveraineté numérique de la France et de l’Europe.»
« Tous les acteurs : les États, le secteur privé et la société civile »
Le CNLL appelle à utiliser la définition établie par les Nations unies, en se référant au Plan d’action de coopération numérique publié en 2020 par l’ONU. Pour le secrétaire général de l’ONU, les biens publics numériques sont «les logiciels libres, les données ouvertes, les modèles d’intelligence artificielle à source ouverte, les standards ouverts et les contenus libres qui respectent les lois sur la protection de la vie privée […], ne sont pas source de préjudice» (p. 21 du PDF du texte de l’ONU) et contribuent aux objectifs de développement durable de l’ONU.
Surtout, souligne le CNLL, «cette approche est inclusive. Le rapport de l’ONU souligne que la promotion des biens publics numériques est l’affaire de tous les acteurs: les États, le secteur privé et la société civile.» L’organisation française estime qu’avec la notion de « communs numériques » ajoutant «des critères flous de « gouvernance communautaire »», «l’État contrevient directement à l’article 16 de la loi pour une République numérique [promulguée en 2016, voir Wikipédia], qui encourage l’utilisation des « logiciels libres » sans distinction, et exclut de fait la majorité des logiciels libres portés par les éditeurs français et européens.
Cette approche favorise en outre des modèles de « grandes fondations » où la dilution des responsabilités devient un paravent pour une prise de contrôle par de grands acteurs, notamment non-européens, ou pour la défense d’intérêts particuliers, et où les PME européennes sont de facto exclues. L’État mène donc une politique d’exclusion en marge du cadre légal.»
Un choix « stratégique » de vocabulaire
«Le métier d’éditeur de logiciel libre consiste précisément à développer un projet Open Source en tant que produit industrialisé, fiable et pérenne. Les éditeurs Open Source apportent notamment la feuille de route, la maintenance sur le long terme, les garanties de sécurité et le support professionnel indispensables aux utilisateurs. Ils financent ces activités critiques par des modèles économiques variés (support professionnel, SaaS, “open core”…) qui assurent leur viabilité et donc celle de leur écosystème.
En niant ce rôle, l’État se méprend sur la nature même du logiciel libre. Sous la bannière des « communs », il ne crée pas d’alternatives souveraines, mais des solutions parcellaires – souvent de simples dérivés (forks) de projets existants – sans la structure, l’offre de service et la vision stratégique nécessaires pour garantir leur évolution et leur pérennité.»
Le CNLL l’affirme, «le choix entre « biens publics » et « communs » n’est pas qu’une question sémantique ; il est stratégique. Il conditionne la capacité de la France à bâtir une souveraineté numérique réelle, fondée sur un écosystème industriel fort, des emplois qualifiés et une innovation durable.»
Des critiques antérieures
Aussi l’organisation professionnelle demande-t-elle au gouvernement d’appliquer l’article 16 de la loi pour une République numérique, «en privilégiant l’acquisition de solutions libres existantes et en cessant de financer par l’argent public le développement de logiciels concurrents à l’offre des éditeurs français», d’adopter officiellement la terminologie inclusive de «biens publics numériques», telle que définie par les Nations Unies, et d’engager «un dialogue constructif et régulier avec le CNLL, en tant qu’organe représentatif de la filière».
En 2024, le CNLL avait fustigé la Direction interministérielle du numérique (Dinum), en s’appuyant sur un rapport très critique de la Cour des comptes en juillet 2024 sur la Dinum.
Début juillet, une commission d’enquête du Sénat a publié un rapport sur la commande publique, lui aussi très critique, pointant notamment le «décalage persistant» entre les discours et les actes des pouvoirs publics.
Illustration: CarlottaSilvestrini / Pixabay
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