Le texte offre au CSA la possibilité d’ordonner le blocage de sites pornographiques qui ne vérifient pas l’âge des internautes. Un contrôle pourtant techniquement irréalisable.
C’est une large partie des sites pornographiques les plus populaires qui pourraient disparaître du Web français dans les prochaines semaines. Ce 7 octobre, le gouvernement a publié un décret “relatif aux modalités de mise œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à des sites diffusant un contenu pornographique”, relève Marc Rees, journaliste spécialisé pour le site Next INpact. Désormais, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) peut bloquer l’accès à tous les sites qui ne contrôlent pas l’âge des internautes.
Le décret de ce 7 octobre détaille la procédure: dès lors que le CSA est informé (par un internaute ou une association, par exemple) qu’un site pornographique laisse des mineurs accéder à ses contenus, l’instance peut décider de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris, afin de le rendre inaccessible dans l’Hexagone. Par exemple si le site se contente d’un simple avertissement demandant à l’internaute d’assurer qu’il a plus de 18 ans.
Vérification impossible
Dès lors que les faits sont constatés la plateforme est contrainte de se mette en conformité avec le droit français. Le texte s’appuie sur l’article 227-24 du code pénal punissant de trois ans de prison de 75.000 euros d’amende toute plateforme exposant des mineurs à des contenus pornographiques. Une fois le courrier reçu, un délai de 15 jours s’applique pour que le site visé puisse faire évoluer ses pratiques.
Problème: à ce jour, aucune solution technique n’a été trouvée pour qu’un site puisse vérifier l’âge d’un internaute, en France comme à l’étranger. La Grande-Bretagne avait été le pays le plus ambitieux dans le domaine, envisageant d’imposer le partage d’une pièce d’identité pour accéder aux sites pornographiques. Un projet finalement jugé trop imparfait, et abandonné.
Un tel système de contrôle présente en effet deux principaux défauts: d’abord le fait de laisser des sociétés – souvent basées à l’étranger – collecter une immense quantité de pièces d’identité, ensuite une impossibilité de vérifier que l’internaute qui envoie une copie de pièce d’identité est bien la personne qui figure sur le document.
Redirection vers une page du CSA
A l’issue de la procédure, le décret prévoit d’obliger les fournisseurs d’accès à internet à bloquer l’accès aux sites “en utilisant le protocole de blocage par nom de domaine (DNS)”.
Derrière ce terme technique se cache ce qui est souvent baptisé “l’annuaire d’internet”. Le DNS (Domain Name System) est un service chargé de transformer un nom de domaine connu de tous (par exemple BFMTV.com) en adresse IP (une suite de chiffres) permettant de renvoyer l’internaute vers la bonne page Web, rattachée à l’adresse IP.
Dans les faits, le texte oblige les fournisseurs d’accès à internet à modifier cette procédure pour qu’un site sanctionné devienne injoignable, en remplaçant son adresse IP par celle d’une page Web d’information appartenant au CSA. En inscrivant le nom de domaine d’un site pornographique, les internautes verront alors apparaître un message rédigé par l’autorité française de régulation de l’audiovisuel.
“Les utilisateurs des services de communication au public en ligne auxquels l’accès est empêché sont dirigés vers une page d’information du conseil supérieur de l’audiovisuel indiquant les motifs de la mesure de blocage” précise le texte.
Limites techniques
Mais ce texte pourrait faire face à plusieurs limites techniques. Comme le précise sur Twitter Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique, la popularité de certains sites pornographiques est telle que les serveurs du CSA pourraient rapidement se retrouver noyés sous les connexions, avec une possible saturation.
Par ailleurs, chaque internaute est libre de modifier ses DNS, moyennant une manipulation de quelques minutes. Si de tels blocages peuvent limiter la portée de sites pornographiques, le Web regorge de modes d’emploi pour les contourner.
« Nous avons l’exemple même de la mesure poursuivant un but légitime, mais rédigée en haut lieu en vase clos sans se poser la question de la faisabilité technique ni des effets de bords » regrette Alexandre Archambault auprès de BFMTV.
Hasard du calendrier, le tribunal judiciaire de Paris s’est prononcé ce 8 octobre sur le sort réservé à neuf sites pornographiques, rejettant les demandes de blocage émanant de deux associations de protection de l’enfance. Parmi les sites visés, des plateformes très populaires comme Pornhub ou YouPorn. Un blocage qui pourra donc désormais se faire à la demande du CSA.