le match perdu de l’université face au privé

le match perdu de l’université face au privé


Vie des labos. « Une telle croissance, en aussi peu de temps, c’est du jamais-vu dans aucun domaine », constate Neil Thompson. Ce spécialiste en intelligence artificielle (IA) et en économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT, Boston) ne parle pas de la folle croissance des utilisateurs de la machine parlante ChatGPT mise au point par OpenAI. Ni même de l’omniprésence médiatique du concept d’intelligence artificielle depuis la sortie, en novembre 2022, de cet agent conversationnel et de ses dérivés ou applications. Il évoque un fait plus profond et inquiétant : le déséquilibre net entre le monde académique et le monde industriel dans le domaine de l’intelligence artificielle. Le second a plié le match en une dizaine d’années seulement.

Dans la revue scientifique américaine Science, le 2 mars, avec Nur Ahmed, également au MIT, et Muntasir Wahed (université Virginia Tech, Blacksburg), Neil Thompson a quantifié cette victoire. En 2020, aux Etats-Unis, l’écrasante majorité des doctorants en IA, 70 %, ont été embauchés par le privé, alors qu’en 2004 la proportion n’était que de 20 %. Les chercheurs ont aussi constaté qu’en 2018 les débauches de professeurs par de grandes entreprises avaient augmenté de 10 %, alors que les embauches à l’université restent stables depuis quinze ans.

Sur le front des ressources de calculs, même déséquilibre. Les « modèles » de l’industrie, c’est-à-dire les programmes entraînés sur de vastes quantités de données, comme ChatGPT, Bard, Dall-E, etc., sont désormais, avec des centaines de milliards de paramètres, trente fois plus gros que ceux du monde académique. Or, dans bien des cas, une grande taille est synonyme de plus grande qualité.

Résultat, en 2020, 40 % des exposés dans les conférences sont issus de laboratoires privés, le double de ce qu’ils représentaient en 2012. Dans leur rapport annuel sur le sujet, en avril, leurs collègues de Stanford faisaient des constats similaires : l’industrie disposait de trente-deux modèles « importants » contre trois dans le monde académique. En matière de publications, le rapport notait que, même sur l’aspect éthique de l’intelligence artificielle, les entreprises « soumettent plus que jamais ». Par exemple, trois fois plus en 2022 qu’en 2021 et leur quantité équivaut au tiers de ce que le monde académique produit.

« Même au MIT, on ne peut plus lutter »

Bref, « sur les trois paramètres-clés de réussite des modèles d’IA, les données, les puissances de calcul et les ressources humaines, c’est déséquilibré », résume Nur Ahmed, qui rappelle qu’en 2021 les entreprises ont dépensé 340 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle quand les agences américaines de financement avaient soutenu les recherches pour 1,5 milliard de dollars cette année-là. « Même au MIT, on entend des collègues dire qu’ils ne peuvent plus lutter », témoigne Neil Thompson.

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