Dans la lutte contre le réchauffement climatique, peut-on basculer d’un modèle de « Green IT », une informatique décarbonée, au « IT for Green » ? C’est-à-dire une contribution positive du numérique à l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les outils numériques organisent le télétravail ou le covoiturage réduisant d’autant le recours à la voiture individuelle.
Dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture de précision, de l’industrie, des transports ou de la logistique, le pilotage par la donnée permet d’optimiser les flux et les processus et de prolonger la durée de vie des équipements grâce à une maintenance prédictive.
Avec le concept de « territoire connecté », des collectivités montrent qu’il possible de réduire leur empreinte carbone par une meilleure gestion des mobilités, une plus grande efficience énergétique des bâtiments ou la mise en place d’un éclairage public intelligent.
Les bénéfices pas toujours supérieurs aux impacts
Dans un avis, l’Ademe reconnaît cette contribution tout en considérant que « le bénéfice environnemental de certaines applications numériques ne peut justifier à lui seul de fermer les yeux sur les risques liés à leur développement rapide. »
L’agence de la transition écologique tempère l’ardeur des techno-solutionnistes qui voient dans les nouvelles technologies le remède à tous les maux de la planète. « Pour certains secteurs économiques, le numérique apporte certes un bénéfice environnemental, mais il ne doit pas se substituer à des efforts de décarbonation plus profonds. »
L’Ademe cite, en exemple, le cas de l’industrie lourde. « Les gains d’efficacité permis par des solutions numériques existent mais sont faibles au regard d’autres leviers de décarbonation », comme des changement de process ou de mix énergétique, l’intégration de matières recyclées ou la valorisation de la chaleur fatale.
Et si certaines de ces solutions ont des impacts positifs, « il n’est pas certain que les bénéfices environnementaux soient toujours supérieurs aux impacts générés par les services numériques ». D’autant qu’il reste très compliqué de le mesurer. Est-ce que le recours à une liseuse numérique est-il vraiment vertueux compte tenu de l’empreinte carbone liée à sa fabrication ?
Un impact environnemental sous-évalué
Dans un autre avis, l’Ademe reconnaît avoir sous-évalué l’impact environnemental des datacenters en ne prenant en compte que ceux situés sur notre territoire. Or, une partie importante des services numériques consommés en France sont hébergés dans des centres de données situés à l’étranger.
Par ailleurs, les évaluations actuelles n’ont pas pris toute la mesure du gouffre énergétique que représente le développement exponentiel de l’intelligence artificielle générative qui, selon les cas d’usage identifiés, ne vise pas la résolution de problèmes environnementaux.
Avec l’IA Gen, les datacenters se multiplient comme des petits pains, faisant exploser la consommation électrique sur toute la planète. Elle entraîne également « un renouvellement prématuré de gammes d’ordinateurs et de smartphones « AI ready » avec des capacités de calculs beaucoup plus importantes et leurs impacts associés. »
Sobriété et souveraineté
A cette vision énergivore, difficilement soutenable, l’Ademe oppose un modèle d’une IA frugale, fondé sur le développement de petits modèles d’IA générative spécialisés plus sobres que les grands modèles généralistes. « Un tel modèle présenterait un triple avantage environnemental, économique et de souveraineté et permettrait à des startups françaises et européennes d’améliorer leur compétitivité. »
Les enjeux mêlés de sobriété énergétique et de souveraineté se retrouvent dans l’extraction des métaux servant à la conception des terminaux numériques. L’Ademe pointe notre forte dépendance à certains pays, en particulier la Chine qui est le premier producteur mondial de 15 des 25 métaux utilisés.
L’étain, l’argent, le ruthénium, le nickel et l’antimoine sont jugés comme particulièrement critiques, « compte tenu de la convergence de risques sociaux, environnementaux ou encore géopolitiques ». Le recyclage se concentre sur les métaux les plus chers comme l’or, l’argent, le cuivre et le platine.
Quelques mesures
Après avoir posé ce constat, l’Ademe donne quelques pistes pour limiter les impacts environnementaux du numérique en France. En autres, elle préconise :
- D’augmenter la durée d’usage de nos équipements en les faisant réparer quand ils tombent en panne, en achetant davantage de produits reconditionnés, en privilégiant l’économie du partage ou la mutualisation des équipements.
- De généraliser les pratiques d’écoconception des services numériques. Le référentiel général d’écoconception de services numériques (RGESN) pourrait être rendu obligatoire comme c’est le cas pour l’accessibilité numérique avec le référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA).
- De prioriser le recours aux ressources numériques ouvertes (open source, open data). Ces « communs numériques » favorisent les coopérations entre acteurs d’une même filière, réduisant les coûts de développement et de maintenance.
- D’étudier la mise en place d’une tarification progressive sur les forfaits de téléphonie mobile.
- D’évaluer l’intérêt d’un indice d’écoconception sur les services numériques comme les jeux vidéo, les plateformes de streaming, les applications mobiles ou les sites internet, afin d’aider les consommateurs à mieux différencier les offres « vertes ».
- De poursuivre une campagne nationale de sensibilisation des citoyens aux impacts environnementaux et à la sobriété numérique afin de réduire le nombre d’équipements et limiter les usages. Une campagne qui pourrait être associée aux enjeux de santé publique et notamment d’exposition aux écrans chez les jeunes.