Avez-vous vu, au printemps, ces images étonnantes d’Emmanuel Macron pourchassé par des manifestants ? Ou manifestant contre sa propre loi de réforme des retraites ? Des scènes qui n’ont jamais eu lieu, mais qui ont circulé sur les réseaux sociaux, produites par des intelligences artificielles (IA) génératives. Les progrès fulgurants de ces technologies, bon marché et faciles d’accès, telles que DALL-E, Midjourney ou Stable Diffusion, ont stupéfié par leur capacité à créer des images proches des photographies. « C’est comme si on habitait dans le multivers : chacun peut inventer sa version alternative de la réalité », analyse David Fathi, un artiste qui travaille sur le sujet (The Machine Seems to Need a Ghost, L’Artière, 144 pages, 40 euros).
Avec Midjourney, il a créé et publié sur son compte Instagram des images du président aux prises avec des manifestants. Une expérimentation qui a démontré la puissance des illusions de ces images, mais aussi leur côté incontrôlable : dans l’une de ses images, l’IA avait, sans qu’il l’ait demandé, coiffé d’une casquette nazie un policier à l’arrière-plan. Puis il a retrouvé cette image postée, sans son accord, sur un site d’extrême droite pour illustrer un article…
La montée en puissance des IA génératives, opérées par des entreprises comme OpenAI (qui détient aussi ChatGPT) ou Stability AI, a créé un choc majeur chez les photojournalistes. Au point qu’un débat sur ce thème a été organisé par le journaliste Gilles Courtinat lors du festival Visa pour l’image, en septembre, à Perpignan. « Très vite, les derniers défauts des IA génératives seront corrigés, et on ne pourra plus faire la différence avec la photographie », alerte Jean-François Leroy, le directeur du festival, qui s’est amusé à recréer avec Midjourney certaines photos de la précédente édition. « C’était bluffant. Et ça ne coûte rien, donc la tentation est grande de les utiliser », se désole-t-il.
Conséquences bien réelles
Dans les faits, les médias utilisent déjà quotidiennement les IA pour nombre de tâches : suggestion d’articles, traduction, indexation… et les photographes ne sont pas en reste. « L’intelligence artificielle est dans les boîtiers photo depuis des années, a rappelé, à Perpignan, Benoît Tabaka, secrétaire général de Google France. L’autofocus, l’ajustement des lumières, la retouche automatique, c’est de l’IA. »
Mais les images générées par IA font peur. Parmi les inquiétudes, la crainte que le public confonde ces images inventées avec de vraies photos, avec des conséquences bien réelles. En mai, la circulation d’une image générée par AI prétendant montrer une explosion au Pentagone avait temporairement fait dévisser la Bourse américaine. Au printemps, plusieurs organes de presse ont fait des essais avec les IA génératives, au grand dam des photojournalistes, à Perpignan : parmi elles, la couverture du JDD Magazine du 28 mai montrant l’écrivain Michel Houellebecq gambadant parmi les fleurs – image publiée sans l’accord de l’intéressé. « Je ne vois pas de situation où l’emploi de l’IA générative dans la presse se justifierait, avance le photographe Niels Ackermann. S’il n’y a pas de photo, on peut faire une illustration ou un dessin. Ainsi, il n’y a pas de confusion possible avec la réalité. »
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