« Le réchauffement des esprits provoqué par les contenus de haine risque de se transformer en une forte fièvre »

« Le réchauffement des esprits provoqué par les contenus de haine risque de se transformer en une forte fièvre »


Fondatrice du cabinet Respethica, enseignante à l’ESCP Business School et à Sciences Po, Pascale Thumerelle vient de publier Réchauffement des esprits. La responsabilité sociétale des industries culturelles (Actes Sud, 208 pages, 21 euros), un ouvrage en forme de cri d’alarme sur l’influence parfois négative, et trop souvent négligée, des contenus de haine et de désinformation sur notre psyché, et dont l’« empreinte cérébrale » est considérable. Et un plaidoyer pour une meilleure prise en compte par ces groupes multinationaux de leur rôle central dans la cohésion sociale.

Comment définissez-vous ce que vous nommez le « réchauffement des esprits » ?

Le réchauffement des esprits est un phénomène provoqué par l’émission surabondante de contenus de haine, de stéréotypes, de désinformation nourrie par la distorsion des faits, de pratiques marketing nocives pour les enfants, qui agissent comme des polluants, nuisibles à l’épanouissement individuel et à la cohésion sociale. L’ère numérique a amplifié cette évolution. Fox News a reconnu avoir publié des fake news pour complaire à son audience favorable au président Donald Trump, battu par Joe Biden. TikTok et YouTube sont visés par des enquêtes de la Commission européenne concernant leurs pratiques à l’attention des mineurs. Facebook/Meta, faute d’une modération rigoureuse, n’a pas retiré les messages qui incitaient à la violence contre les Rohingya et la responsabilité de ses algorithmes a été directement montrée du doigt par un rapport d’Amnesty International.

Les industries culturelles seraient donc les responsables de ce réchauffement ?

Par leur offre de services ou de biens, leur rayonnement à l’international et leur modèle d’affaires, ces industries ont des effets positifs comme négatifs. Elles stimulent notre curiosité, renforcent nos capacités de jugement ou, au contraire, érodent notre esprit critique. Internet devient en soi un média, agit comme un catalyseur et un accélérateur des courants d’émotion, de réflexion, de ravissement, d’assujettissement, de colère, selon les fournisseurs de contenus et les algorithmes. Ce secteur si influent, tant par les revenus qu’il génère que par les emplois créés – près de 8 millions en Europe, soit deux fois plus que la construction automobile – est étonnamment peu interrogé sur son impact sociétal.

C’est ce que vous avez baptisé l’« empreinte cérébrale »…

Oui, car si ces entreprises génèrent une empreinte carbone, elles ont surtout pour effet la création de représentations sur la psyché de chaque individu. Prendre conscience que cette influence peut affecter le bien commun ou y contribuer, c’est demander des comptes aux entreprises du secteur – médias, presse, jeux vidéo, livres, musique, films, spectacles vivants… –, les interroger sur leur raison d’être, leur gouvernance, leur actionnariat, leurs investissements et leur responsabilité pour servir la culture qui « donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui-même », selon la définition de l’Unesco [déclaration de Mexico, 1982].

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