Ce devait être un matin comme tous les autres pour Mimi, architecte en Gironde de 39 ans, qui n’a pas souhaité donner son nom. C’est son rituel quotidien : elle quitte son lit à six heures du matin, quand la maisonnée dort encore, lance la machine à café, et profite de deux heures de calme pour s’adonner à sa grande passion : la quête de la chouette d’or, un trésor enterré en 1993 et qu’elle tente de localiser depuis onze ans.
Mais, ce jeudi 3 octobre, les choses vont tourner différemment. Une notification s’affiche sur son téléphone. Michel Becker, dépositaire de cette chasse au trésor, vient de publier un message sur le serveur Discord, qui réunit une partie de la communauté : « Une solution potentiellement gagnante est en cours de vérification. » Mimi, mal réveillée, pense avoir mal lu. « Et puis, je commence à prendre conscience que ça y est, c’est la fin. Emotionnellement, je me retrouve face à ma tasse à café avec un grand vide », confie-t-elle au Monde.
Aussitôt, elle retrouve en ligne des « copains “chouetteurs” », comme se nomment les adeptes de ce jeu d’énigmes, aussi ébahis qu’elle, parfois incrédules. Deux heures plus tard, Michel Becker publie un nouveau message, laissant peu de place au doute : « N’allez pas creuser ! Nous vous confirmons que la contremarque de la chouette d’or a été déterrée cette nuit, simultanément avec un envoi de solution. » Toute une communauté se retrouve orpheline. « C’est comme un deuil », poursuit Mimi, qui s’étonne au téléphone de sentir sa voix se briser. « Je ne pensais pas en pleurer… Le côté humain, c’est phénoménal. C’est une communauté qu’on ne retrouvera pas. »
Ils sont des dizaines de milliers à avoir tenté, durant des années, de découvrir l’emplacement de la chouette d’or. L’histoire commence en 1993, quand le communicant Régis Hauser, sous le pseudonyme de Max Valentin, enterre une chouette en bronze quelque part en France.
Serveur payant sur Minitel
Pour la trouver, il faut résoudre une série de onze énigmes, accompagnées d’illustrations, qu’il publie dans un livre. La personne qui parviendra à localiser et déterrer le volatile pourra l’échanger contre le véritable trésor : une chouette en or, argent et diamants, d’une valeur évaluée à l’époque à 1 million de francs, soit 150 000 euros.
Le concept fait mouche. De nombreux Français se prennent au jeu, au point de développer une obsession. « Je cherche la chouette depuis 1997, et ça me prend environ 80 % de mon temps libre », raconte ainsi Tina Delly, de son vrai nom Christine Garin, fondatrice de l’Association officielle des chouetteurs (AOC). Quand elle s’y est mise, pas d’Internet : elle s’enfermait des heures dans des bibliothèques et se connectait au Minitel, où Max Valentin, le créateur du jeu, avait ouvert un serveur payant. Sur 3615 MAXVAL, il répondait aux questions. Le personnage est devenu au fil des années une sorte de mythe, dont chaque déclaration, souvent ambiguë, fut consignée et décortiquée par les « chouetteurs ».
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