Il avait pourtant déjà été le liquidateur de la plus grande faillite de l’histoire américaine, celle d’Enron, en 2001. Mais John Ray, désigné pour piloter le dépôt de bilan de la plate-forme d’échange de cryptomonnaies FTX, affirme n’avoir jamais vu un tel trou noir. A mesure que la poussière retombe, le milieu de la finance prend la mesure de l’ampleur du scandale. Selon le Financial Times, il manquerait plus de 3 milliards de dollars (2,92 milliards d’euros) pour rembourser ses clients, particuliers et institutions financières dont certains avaient placé jusqu’à 200 millions dans l’affaire.
Le fondateur, Sam Bankman-Fried, dont la fortune s’élevait à près de 30 milliards au début de l’année, n’a plus rien. Ce qui est dommage puisqu’il avait promis de donner la totalité de ses biens à des organisations caritatives. « SBF », comme on le surnomme, était un disciple du mouvement de l’« altruisme efficace » (efficient altruism).
Fondée en 2011 par son mentor, William MacAskill, professeur à Oxford, cette pensée s’inspire des travaux du philosophe utilitariste australien Peter Singer, grand défenseur, notamment, de la cause animale. Sa thèse vise à rationaliser l’aide humanitaire en cherchant toujours le don qui sera le plus efficace, mesuré scientifiquement, qu’il concerne des individus à côté de chez soi ou à l’autre bout du monde. L’hebdomadaire The Economist raconte comment William MacAskill a poussé « SBF » à se lancer dans la finance selon le principe d’optimisation qui veut qu’en gagnant plus on peut donner plus.
Domaine en pointe
Ce dernier est allé au-delà des espérances de son maître. Mais les altruistes efficaces se sentent aujourd’hui trahis par l’un des leurs, qui vivait pourtant en communauté dans sa maison des Bahamas avec neuf autres défenseurs de cette philosophie, qui veut penser loin dans le temps et dans l’espace.
Il avait pourtant choisi avec les cryptomonnaies le domaine en pointe du numérique, celui qui rassemble encore beaucoup de croisés de l’Internet libertaire. Dans son passionnant livre Dé-coder. Une contre-histoire du numérique (Bouquins, 262 pages, 20 euros), la politologue Charleyne Biondi raconte la genèse de la culture numérique depuis les pionniers hippies de San Francisco jusqu’aux rebelles hackeurs du Chaos Computer Club, en passant par Google. Tous partagent la même foi dans la technologie et la même méfiance, voire haine, de l’Etat et de sa bureaucratie. Une vision de la liberté radicale qui rappelle celle des Pères fondateurs des Etats-Unis, qui ont inscrit dans la Constitution leur méfiance de la centralisation étatique. Mais aujourd’hui, c’est l’Etat qui a le vent en poupe et repousse aux calendes grecques les rêves d’une libération de l’individu par la technologie.