Deux géants de la tech chinois, Tencent et Baidu, ont livré quelques détails sur leurs stratégies de contournement des « restrictions américaines », cet ensemble de règles qui visent à couper l’approvisionnement des entreprises chinoises en semi-conducteurs. Ces composants, indispensables au développement et à l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle, sont au cœur d’une guerre technologique entre les deux pays.
Comment la Chine parvient-elle à s’approvisionner en semi-conducteurs pour l’intelligence artificielle (IA), alors que les restrictions américaines sont de plus en plus strictes ? Deux géants chinois des nouvelles technologies, Tencent et Baidu, ont donné des détails sur leurs différentes stratégies en la matière, lors de conférences téléphoniques sur les résultats, dont le contenu est rapporté par le média américain CNBC. Tous deux ont expliqué comment ils avaient réussi à contourner la règlementation américaine qui limite la vente de puces électroniques aux entreprises chinoises, appelées « restrictions aux exportations ».
Depuis octobre 2022, les États-Unis utilisent leurs règles relatives aux exportations sur les semi-conducteurs pour tenter d’entraver le développement technologique de la Chine.
Et l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche n’a pas changé la donne. Fin mars, Washington a d’abord étendu sa liste noire à des dizaines d’entreprises chinoises.
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Et en avril dernier, la nouvelle administration américaine a interdit à deux de ses champions américains, Nvidia et AMD, de vendre des semi-conducteurs destinés à l’intelligence artificielle à la Chine. Et cet énième durcissement nuirait davantage aux entreprises américaines qu’aux sociétés chinoises, regrettait en retour le dirigeant de Nvidia, Jensen Huang, le 21 mai dernier.
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Résultat, les entreprises chinoises se sont organisées pour se procurer ces puces électroniques, des composants indispensables à la fabrication de nos voitures, smartphones, mais aussi aux outils d’IA comme ChatGPT, Gemini, Le Chat ou DeepSeek. Elles ont aussi imaginé des alternatives, à l’image de Tencent, premier éditeur mondial de jeux vidéo chinois, et propriétaire de la méta-application WeChat.
Pour Tencent : faire plus avec moins
Pour Martin Lau, à la tête du géant chinois des nouvelles technologies, le groupe a d’abord constitué un « stock assez important » de puces, achetées avant les dernières restrictions. Et cette réserve serait particulièrement utilisée à bon escient. Selon le dirigeant, l’entreprise a réussi à entraîner des modèles de langage avec un nombre moins important de puces.
De quoi battre en brèche « la croyance des entreprises américaines selon laquelle de très nombreux GPU (Graphics Processing Unit) doivent être utilisés pour développer une IA plus avancée », écrivent nos confrères. L’entreprise dispose de « suffisamment de puces haut de gamme pour continuer à former des modèles » de langage plus avancés, a assuré le dirigeant.
Le mastodonte chinois, qui n’a pas pu acheter autant de processeurs graphiques que prévu du fait des restrictions américaines, aurait travaillé sur « l’optimisation logicielle » pour améliorer l’efficacité de chaque semi-conducteur, a avancé le groupe. Tencent utiliserait également des semi-conducteurs conçus sur mesure et actuellement disponibles en Chine, toujours selon l’entreprise chinoise.
Baidu : exploiter au mieux les GPU que l’entreprise a en stock
Un autre géant local des nouvelles technologies, Baidu, avance, lui aussi, différentes mesures pour pallier la difficulté voire l’impossibilité de s’approvisionner en puces les plus avancées, notamment conçues par l’entreprise américaine Nvidia. Le mastodonte de l’internet chinois, qui a développé un concurrent de ChatGPT, Ernie, explique s’être appuyé sur son infrastructure de cloud, ses modèles d’IA déjà développés, et ses applications.
Baidu a ainsi mis en avant sa capacité à réduire le coût d’exploitation de ses modèles de langage. La direction de Baidu évoque aussi des gains d’efficacité qui lui permettent d’exploiter au mieux les GPU qu’elle possède.
« Les modèles de fondation augmentant les besoins en puissance de calcul, la capacité à construire et à gérer des clusters de GPU à grande échelle et à utiliser les GPU de manière efficace est devenue un avantage concurrentiel clé », a déclaré pendant la conférence aux analystes Dou Shen, à la tête de l’activité Cloud IA de l’entreprise.
Ce dernier cite aussi les avancées des entreprises chinoises, qui, travaillant depuis des années sur les semi-conducteurs, ont réussi à atténuer l’impact des restrictions imposées par les États-Unis sur les puces électroniques. « Les semi-conducteurs développés au niveau national, ainsi qu’une pile logicielle locale de plus en plus efficace, formeront ensemble une base solide pour l’innovation à long terme dans l’écosystème de l’IA en Chine », a-t-il assuré.
La Chine juste derrière les États-Unis
Ces déclarations s’inscrivent dans un contexte bien particulier – les deux dirigeants s’adressaient à leurs investisseurs. Leur objectif était donc de les rassurer sur l’approvisionnement en puces destinées à l’IA – des composants dont aucune entreprise de la tech ne peut aujourd’hui se passer.
Mais elles s’inscrivent bien dans la stratégie initiée par Pékin depuis des années : celle de devenir autosuffisante en matière de semi-conducteurs. Et si les fabricants chinois de semi-conducteurs auraient encore quelques générations de retard sur les puces des leaders actuels, « la Chine serait (désormais) juste derrière les États-Unis. Nous sommes très proches », regrettait le PDG de Nvidia au début du mois. Le dirigeant du leader américain estimait que les restrictions initiées depuis octobre 2022 lui ont fait perdre la moitié de ses parts de marché en Chine, au profit d’entreprises locales.
Pékin investit en effet depuis des années des sommes titanesques pour aider ses champions à développer une chaîne d’approvisionnement en puces électroniques dans le pays. Le gouvernement local avait choisi de subventionner massivement, et sans limites, plusieurs entreprises dont Huawei : des chèques en blanc destinés à « sortir l’industrie de la misère », estimait alors un responsable gouvernemental.
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Pour Gaurav Gupta, analyste spécialisé dans les semi-conducteurs au sein du cabinet Gartner qui était interrogé par CNBC, le pari est en passe d’être gagné. « La Chine a été étonnamment extrêmement (…) ambitieuse dans (son) objectif (de développer son propre écosystème de semi-conducteurs, NDLR) et il faut admettre qu’elle a obtenu un succès décent (…). Cela lui permet de se procurer des puces d’IA, qui ne peuvent peut-être pas rivaliser avec celles des leaders américains, mais qui continuent à progresser ».
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