Cachez-vous la caméra de votre ordinateur avec une gommette ? Votre mot de passe est-il suffisamment élaboré ? La caméra de votre smartphone est-elle orientée vers vous lorsque vous prenez une douche ? Réunis à Poitiers, début mai, à l’initiative de l’association StopFisha, une vingtaine de jeunes – majoritairement des femmes, à une exception près – apprennent à protéger leur identité numérique. « Quand vous envoyez un nude [une photo dénudée] à quelqu’un, assurez-vous qu’on ne voit pas votre visage, ni de signes qui permettraient de vous identifier. Pensez à ajouter un petit point de couleur sur l’image : si jamais la photo est diffusée, vous saurez s’il s’agit bien de vous sur le cliché », détaille Victoire Poignet, bénévole pour Stop Fisha.
Le collectif s’est formé dans l’urgence au printemps 2020, au moment où les comptes « fisha », verlan du mot « affiche », ont explosé (« fisha78 », « affiche-pute_rouen », « salopesdu95 », etc.) sur les réseaux sociaux et les messageries instantanées, notamment Telegram, Snapchat ou Twitter. Des centaines de groupes, suivis parfois par des dizaines de milliers de personnes, y divulguent des photos, vidéos intimes et informations personnelles des victimes, répertoriées en fonction de leur localisation.
Animée par quatre-vingt-douze étudiantes, lycéennes, avocates, salariées, l’association Stop Fisha traque ces comptes, pour les signaler à Pharos et e-Enfance, deux plates-formes spécialisées dans la lutte contre le cyberharcèlement. Elle propose aussi un soutien moral et juridique aux victimes. « Dès qu’un contenu viole votre consentement, faites des captures d’écran et signalez-le immédiatement à la plate-forme. Ne culpabilisez pas, rappelez-vous que vous avez le droit d’envoyer un nude, c’est aux autres de respecter votre intimité. Vous pouvez porter plainte même si vous ne connaissez pas l’identité de la personne à l’origine du cyberharcèlement. Et vous pouvez vous rendre au commissariat sans la présence de vos parents, même si vous êtes mineurs », détaille Victoire Poignet, engagée dans le pôle accompagnement des victimes de Stop Fisha.
« Dépossédée de son corps »
Depuis sa création, le collectif a soutenu plus de mille personnes, et reçoit quotidiennement une dizaine d’appels à l’aide, essentiellement de la part de jeunes femmes, à l’instar de Claire [les prénoms ont été changés], présente à la réunion de Poitiers. Assise au fond de la salle, l’étudiante ne souhaite pas évoquer les violences qu’elle subit, « car ce n’est pas fini, et c’est trop dur ». Elle prend néanmoins la parole pour souligner que les agressions sur les réseaux sociaux sont plus traumatisantes que la violence physique, dont elle a aussi été victime : « Mon entourage minimise la gravité de ce que j’endure. Ma meilleure amie me dit de ne pas m’en faire, que mes agresseurs, c’est juste des gamins. Mais le cyberharcèlement, c’est comme un viol collectif. Notre corps est massivement partagé. Et on ne sait jamais quand ça s’arrête. »
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