Les révélations du Monde et du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) concernant le soutien accordé par Emmanuel Macron, quand il était ministre de l’économie, à la multinationale des transports Uber, ont déclenché de nombreuses réactions politiques, lundi 11 juillet, notamment à gauche, où le député de Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière, a dit souhaiter l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur ce sujet à l’Assemblée nationale.
« Le président ou celui qui va être président ne peut pas être un lobbyiste au service d’intérêts privés et d’une entreprise nord-américaine qui a plus que des délicatesses avec les Etats-Unis et cherche à contourner les réglementations », a estimé l’élu de La France insoumise sur Public Sénat. M. Corbière compte interpeller le gouvernement sur ce sujet pendant la prochaine séance de questions au gouvernement, mardi, et a dit vouloir « discuter » de l’opportunité d’une commission d’enquête parlementaire au sein de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).
« Il faut urgemment qu’on puisse faire la clarté là-dessus et en tirer les conséquences », a-t-il insisté quitte, selon lui, à remplacer ou faire lancer par d’autres la commission d’enquête sur l’inflation voulue par l’alliance de gauche, leur nombre étant limité par groupes à l’Assemblée nationale. « Uber mériterait bien une petite commission d’enquête », a abondé sur Twitter Pierre Dharréville, député (Gauche démocrate et républicaine) des Bouches-du-Rhône. Alexis Corbière a aussi dit compter qu’Emmanuel Macron s’exprime sur ce sujet : « S’il ne le fait pas, on est dans l’irresponsabilité présidentielle de la Ve République : “Je suis élu, je fais ce que je veux” », a-t-il considéré.
Aux yeux de Mathilde Panot, la cheffe de file des députés La France insoumise, sur Twitter, celui qui était conseiller puis ministre de François Hollande s’est aussi fait « lobbyiste pour [une] multinationale étatsunienne visant à déréguler durablement le droit du travail – et ce même en faisant fi des décisions de justice ». « Depuis plusieurs mois, le gouvernement français fait tout pour bloquer la directive sur les travailleurs des plates-formes présentée en décembre par la Commission européenne. Macron est définitivement la voix de son maître », a abondé de son côté Manuel Bompard, député LFI des Bouches-du-Rhône.
« On lit que l’entreprise n’a pas raté une occasion d’essayer de permettre à Emmanuel Macron de se valoriser, de paraître comme un ministre moderne, champion de l’innovation. Il avait donc aussi un calcul et une visée politique en tête, a considéré dimanche Aurélien Taché, député écologiste, sur Franceinfo. Nous sommes ce soir devant un scandale d’Etat. La question de la loyauté même du président de la République envers la nation française est posée. Il doit réagir à la hauteur des questionnements qui ont été révélés. »
« Heureusement qu’il faisait son travail », répond Aurore Bergé
La cheffe de file des députés Renaissance (La République en marche), Aurore Bergé, a défendu, sur CNews, l’action d’Emmanuel Macron. « C’est formidable, un pays qui s’offusque qu’un ministre de l’économie reçoive des chefs d’entreprise », a raillé Mme Bergé, en réaction aux critiques acerbes émises par la gauche. « Heureusement qu’il faisait son travail, heureusement que nos ministres peuvent faire en sorte que des entreprises s’implantent en France », a-t-elle fait valoir.
Écouter aussi « Uber Files » : comment le ministre Macron a aidé Uber en secret
Uber « crée un service que les Français plébiscitent », a également souligné la députée des Yvelines, qui a aussi assuré que, dans le mandat précédent du chef de l’Etat, « les droits sociaux des salariés de ces plates-formes [avaient été accrus] ». « Il n’y a pas de deal, il n’y a pas de contreparties » entre Uber et Emmanuel Macron, a-t-elle ajouté. En revanche, a-t-elle conclu, « il est le président qui a permis l’accueil d’un certain nombre d’entreprises, favorisé notre réindustrialisation et la création d’emplois ».
Du côté de l’extrême droite, le soutien apporté à Uber a déclenché l’ire du président par intérim du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui a considéré sur Twitter : « C’était de notoriété publique, les “Uber Files” le démontrent une fois de plus : malgré le “en même temps” permanent, le parcours d’Emmanuel Macron a une cohérence, un fil rouge, servir des intérêts privés, souvent étrangers, avant les intérêts nationaux ». « Une commission d’enquête s’impose, a aussi considéré de son côté Gilbert Collard, président d’honneur de Reconquête !, le parti d’Eric Zemmour. Après les affaires Alstom, Benalla, McKinsey, voilà maintenant l’affaire des taxis de la magouille. »
« Uber Files », une enquête internationale
« Uber Files » est une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde.
Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une plongée rare dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les métropoles du monde entier malgré un contexte réglementaire défavorable. Ils détaillent la manière dont Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de faire évoluer la loi à son avantage.
Les « Uber Files » révèlent aussi comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, au besoin, en opérant dans l’illégalité, a mis en œuvre des pratiques jouant volontairement avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à de l’obstruction judiciaire face aux enquêtes dont il faisait l’objet.