D’un côté, Samsung va utiliser des processeurs Snapdragon de Qualcomm pour ses prochains smartphone Galaxy. De l’autre, on entend des rumeurs d’une nouvelle puce de Samsung pour 2025 avec un « super » GPU AMD. Au milieu, des doutes sur la stratégie de Samsung. Qui pose la question : les puces Exynos sont-elles arrivées au bout du chemin ?
Lors de son Snapdragon Summit, le géant des puces pour smartphones Qualcomm a validé une rumeur qui courait depuis quelques mois : les futurs smartphones Galaxy de Samsung seraient bien équipés de puces Snapdragon en Europe. Un micro séisme – et une bonne nouvelle ? – pour le marché européen, qui n’avait droit qu’aux puces maison de Samsung, les Exynos. Dans un drôle de ballet, Qualcomm et Samsung ont des accords (évidemment secrets) de partages technologiques qui permettent au coréen de s’appuyer partiellement sur certains blocs de Qualcomm. Le but étant pour Samsung de continuer de proposer des processeurs puissants dans les smartphones. Un Samsung qui est tout de même le premier fournisseur des SoC des iPhone avant qu’Apple ne développe ses propres puces.
Du point de vue des journalistes et des analystes testant les produits, le passage à Qualcomm semble être une bonne nouvelle technique. Car quoique fasse Samsung, les puces de son partenaire sont toujours un cran au-dessus, tant en termes de puissance pure qu’en termes de consommation énergétique. Les smartphones Galaxy livrés à l’Europe étaient ainsi systématiquement un petit cran en dessous de ceux que l’on trouvait aux USA ou en Corée du Sud (oui, dans son propre marché national, Samsung livre des terminaux équipés en puces américaines !) La question a toujours été : pourquoi seule l’Europe doit-elle avoir un processeur un peu moins performant ? Une interrogation qui évolue aujourd’hui vers une probable « mort », même partielle, des puces Exynos haut de gamme de Samsung. Parce que l’histoire récente et les défis qui l’attendent sont énormes.
Un premier abandon dans les cœurs CPU
Samsung développe des SoC depuis le début de l’histoire des smartphones. Et concevait même des cœurs personnalisés (custom dans le jargon) dans une unité de R&D dédiée à Austin, au Texas (USA). En novembre 2019, Samsung doit faire face à la réalité : le travail fourni par cette équipe ne permet pas de faire la différence par rapport aux plans originaux fournis par ARM. Samsung n’arrive pas à proposer des puces qui soient plus performantes que celles de Qualcomm, et se retrouve souvent derrière. Face à l’impossibilité de ces ingénieurs de faire mieux que le design de référence d’ARM, Samsung décide de fermer l’unité.
Quelques mois auparavant, la firme coréenne annonçait un partenariat aussi surprenant qu’alléchant avec AMD. C’est sur les plans du GPU de l’américain, qui a alors (et toujours !) le vent en poupe, que Samsung indiquait baser sa prochaine génération de GPU intégrée à ses processeurs mobiles. Et plus les mois passaient, plus la technologie RDNA d’AMD faisait saliver : on apprenait au printemps 2020 qu’à la fois la Xbox Series et la Playstation 5 feraient appel à cette architecture RDNA (en version « 2 » dans le cas des consoles de salon).
Au fil des années 2020 et 2021, le plan de route sur deux ans de Samsung a été dévoilé. Jusqu’à l’annonce ce 18 janvier 2022 de la puce Exynos 2200 que vous pouvez retrouver aujourd’hui dans le Galaxy S22 européens. Une puce 100 % ARM côté CPU, mais totalement customisée côté GPU. Pour un bénéfice que l’on connaît…
Le GPU AMD n’a pas (encore ?) fait la différence
Si AMD commence à sérieusement menacer Nvidia dans le PC et qu’il contrôle toutes les consoles de salon, sa première coopération dans le domaine des GPU mobiles n’a pas produit l’effet « wow » escompté. L’Exynos 2200 qui équipe les Galaxy S22 européens a en effet du mal à tenir la comparaison avec les Snapdragon 8 Gen 1 et, à fortiori, les Gen 1+.
Selon un analyste que nous avons rencontré au Snapdragon Summit et qui a tenu à garder l’anonymat, « le fait que les cœurs GPU d’AMD soient à la base des cœurs haute puissance rend l’opération de transformation en cœurs basse consommation très difficile. » Une vision que partagent les ingénieurs de Qualcomm quand on leur demande s’ils vont pouvoir réellement monter en puissance graphique dans leur futur SoC pour ordinateur : « En plus d’Oryon, notre GPU montera en puissance parce que notre architecture est très scalable* et donc il est facile pour nous d’ajouter des cœurs et de monter en fréquence ». La bataille x86/ARM leur donne raison : il est plus facile de partir d’une architecture basse consommation puis de monter en puissance que l’inverse. Si on retrouve désormais des processeurs ARM dans les ordinateurs et les supercalculateurs, x86 n’a jamais réussi à se faire une place dans le monde de la mobilité.
L’impossibilité de ne serait-ce qu’égaler la puce de Qualcomm, notamment en 3D, est un camouflet total pour Samsung. Pour l’unité qui conçoit le SoC, pour celle qui gère le partenariat avec AMD, mais aussi pour celle en charge de la fabrication. La gravure 4 nm de Samsung s’est avérée moins efficace que le 4 nm de TSMC. Tant est si bien que Qualcomm a changé de crèmerie pour sa version « + » ainsi que pour le nouveau Snapdragon 8 Gen 2.
(* : scalable veut ”extensif”, “évolutif” et se dit d’une technologie qui supporte très bien la montée en puissance en additionnant des unités de calcul)
Les Exynos ne convainquent ni Samsung, ni ses clients
En plein remaniement de sa division de conception de SoC en 2019, Samsung avait aussi annoncé vouloir faire évoluer son modèle économique. En plus de la conception de puces pour ses propres terminaux, Samsung avait indiqué vouloir vendre ses puces Exynos à d’autres constructeurs. Une stratégie qui semble avoir fait long feu. Si les coréens ont bien livré des puces d’entrée et milieu de gamme à des constructeurs chinois, la greffe n’a pas pris. C’est même l’inverse : la part de marché des Exynos ne cesse de baisser.
Ici, ce n’est pas uniquement Qualcomm qui fait mal à Samsung, mais aussi MediaTek. Le taïwanais ne cesse d’étoffer ses gammes et de monter en puissance. Profitant de son statut de concepteur indépendant de puces, MediaTek produit non seulement des puces de smartphones, mais aussi de box internet, ou encore pour les téléviseurs. Des marchés qui ont poussé sa R&D à un très haut niveau. Lui permettant non seulement de vendre des puces pour l’entrée de gamme comme par le passé, mais aussi pour des appareils haut de gamme de certaines marques. Qui préfèrent sans nul doute acheter de bonnes puces à un acteur indépendant plutôt qu’à un concurrent !
Une gouvernance rotative qui empêche la constance
Samsung n’est pas devenu numéro 1 mondial des smartphones par accident et compte dans ses rangs d’excellents ingénieurs. Avec un tel poids mondial dans l’électronique – Samsung vient de relancer ses ventes informatiques dans de nombreux pays d’Europe, dont la France –, pourquoi le coréen peine-t-il autant dans la conception d’une puce haut de gamme ? Pour plusieurs analystes interrogés sous couvert de l’anonymat, Samsung paye ici son système de gouvernance. De nombreux hauts postes tournent en effet tous les deux ans – et c’est parfois tous les ans pour d’autres profils. Le tout, sans qu’on leur ait trop demandé leur avis. Si le fait d’éviter à ses troupes de « s’encrouter » peut être une bonne chose, cette mobilité a aussi des effets négatifs.
Car dans le monde des semi-conducteurs, le cycle de développement d’un processeur est d’environ trois ans et requiert aux alentours de 10.000 personnes. Une masse salariale énorme qu’il faut piloter et faire bouger dans la bonne direction pendant trente-six mois. Un défi immense, que seules quelques rares entreprises dans le monde arrivent à faire… et qui semble difficilement compatible avec des jeux de chaises musicales trop rapprochés.
En laissant filtrer un « retour » avec un « super GPU AMD » d’ici à 2025, Samsung semble dans les clous. Si on compte les trois années pour concevoir un SoC en partant de zéro et l’intégration d’une partie graphique plus performante (et adaptée !), cet horizon paraît possible. Mais Samsung a intérêt de garder le cap et d’éviter de changer d’avis tous les quatre matins. Sous peine de finir, un jour qui sait, à avoir à fermer sa division. Et se contenter de puces Qualcomm et MediaTek.