Vers un rachat ou une interdiction ? Le Congrès américain a adopté, mardi 23 avril, une loi qui force la société chinoise ByteDance à céder son réseau social phare, TikTok, faute de quoi l’application de vidéos sera interdite sur le territoire américain. Voté en même temps qu’un paquet législatif consacré à l’aide apportée à l’Ukraine, à Israël et à Taïwan, le texte est la menace la plus concrète pesant sur la plate-forme chinoise aux Etats-Unis depuis le décret d’interdiction adopté par l’ancien président Donald Trump en 2020, et abandonné un an plus tard.
Qu’est-il reproché à TikTok ?
Cela fait quatre ans que les Etats-Unis cherchent à se débarrasser de TikTok. L’application chinoise, propriété de la société ByteDance, est considérée par de nombreux responsables politiques américains comme une menace pour les utilisateurs du pays. Le directeur du FBI, Christopher Wray, a par exemple jugé mardi, dans un entretien accordé à la chaîne NBC, que l’application constituait « un problème pour la sécurité nationale ». En cause : la supposée capacité qu’aurait le gouvernement chinois, à travers elle, d’espionner les citoyens américains ou d’influencer leurs opinions.
Les autorités américaines n’ont jusqu’ici apporté que peu d’éléments concrets pour étayer leurs accusations. En décembre 2020, ByteDance avait toutefois reconnu que certains de ses employés avaient pu traquer des journalistes en utilisant des données issues de l’application.
Qu’est-il désormais demandé à TikTok ?
Il ne reste plus au texte adopté mardi qu’à être signé par le président Joe Biden, qui s’est engagé à le faire rapidement. ByteDance aura alors 270 jours (environ neuf mois) pour vendre TikTok à un acteur non chinois, avec un délai supplémentaire possible de 90 jours en cas de « progrès significatif », précise le Washington Post.
L’échéance fixée arrive donc désormais après l’élection présidentielle américaine du 5 novembre (dans sa version précédente, le texte prévoyait un délai plus court, de 180 jours). Passé ce délai, si aucun repreneur n’a été trouvé, alors l’application sera interdite sur le territoire américain.
Qui pourrait racheter TikTok ?
Pour l’instant, il n’apparaît pas de candidat évident au rachat de l’application de vidéos, dont la valeur devrait dépasser les 100 milliards de dollars (presque 93,6 milliards d’euros) , selon le Wall Street Journal. Plusieurs noms connus du monde des affaires ont fait part de leur intérêt, dont Steve Mnuchin, l’ancien secrétaire au Trésor de Donald Trump, qui a annoncé monter un consortium d’investisseurs dans ce but. Le PDG d’Activision, Bobby Kotick, a également approché des investisseurs fortunés dans un but similaire, selon les informations du Wall Street Journal. Mais aucune offre ferme n’a encore été rendue publique.
Le prix d’une éventuelle vente dépend aussi du gouvernement chinois : la loi chinoise encadre très strictement les exports de technologie, et notamment des algorithmes. Pékin peut décider que la vente de TikTok n’inclura pas les algorithmes de recommandation du réseau social, ce qui diminuerait largement son intérêt et sa valeur.
Et si personne n’en fait l’acquisition, l’interdiction a-t-elle de réelles chances d’aboutir ?
ByteDance a d’ores et déjà annoncé qu’elle allait contester la loi devant les tribunaux américains. « Nous allons continuer de nous battre », écrivait, dans un mémorandum interne consulté par la presse américaine, Michael Beckerman, le directeur des politiques publiques de TikTok aux Etats-Unis. « C’est le début d’un long processus, ce n’est pas la fin. »
Un premier recours portant sur la manière dont la loi viole potentiellement la liberté d’expression des utilisateurs américains de l’application semble plus que probable. Il aurait, selon la plupart des experts, des chances raisonnables d’aboutir. En novembre, une loi interdisant TikTok dans l’Etat du Montana avait ainsi été bloquée par un tribunal fédéral, qui avait estimé que le texte était vraisemblablement contraire au premier amendement de la Constitution américaine, qui protège la liberté d’expression.
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Techniquement, ByteDance pourrait aussi choisir de fermer purement et simplement l’accès à son application aux utilisateurs américains ; elle perdrait alors son plus grand marché, avec 170 millions d’utilisateurs.
Hormis TikTok, quelles sont les applications concernées ?
Le texte de la loi concerne l’ensemble des applications éditées par ByteDance, dont la très populaire application de montage vidéo CapCut et un autre réseau social moins populaire, Lemon8. Mais ses formulations très larges concernent, en théorie, la plupart des applications contrôlées par une entité opérant depuis « un pays adversaire des Etats-Unis ».
Selon Axios, les concepteurs du texte assuraient que les applications de vente en ligne comme Temu ou Shein ne seraient pas concernées, mais la loi a adopté des formulations larges et peu précises. Elle exclut par exemple de son périmètre les « applications dont le but premier est la publication de commentaires sur des produits ». Une notion sujette à interprétation.
Que répondent TikTok et le gouvernement chinois ?
TikTok affirme, depuis des années, n’avoir aucun lien avec le Parti communiste chinois et assure avoir pris toutes les mesures pour assurer la sécurité et protéger la vie privée de ses utilisateurs américains. Ses dirigeants rappellent régulièrement que l’application est différente de celle disponible en Chine, Douyin, qu’elle respecte les lois américaines et applique des règles de modération spécifiques. Surtout, la société certifie que l’intégralité des données de ses utilisateurs américains sont stockées aux Etats-Unis et inaccessibles aux autorités chinoises : l’entreprise a construit de gigantesques data centers dédiés outre-Atlantique, une part importante de ce qu’elle appelle le « projet Texas ».
Dans un message à ses utilisateurs publié mi-mars, Shou Chew, le PDG de TikTok, a par ailleurs estimé que l’un des buts non avoués du texte était de renforcer « une poignée d’autres réseaux sociaux » – une allusion notamment à Meta (Instagram, Facebook et Threads).
Le ministère chinois des affaires étrangères a dénoncé à plusieurs reprises le « deux poids, deux mesures » du projet de loi anti-TikTok. Dans un long communiqué publié en mars, le gouvernement chinois dénonçait une « absence de liberté d’expression » aux Etats-Unis et accusait Washington d’être l’un des principaux diffuseurs de propagande et de désinformation dans le monde. La Chine interdit sur son territoire tous les grands réseaux sociaux américains, dont Instagram, Facebook et X (Twitter).