les vinyles de jeux vidéo, un objet qui trace son sillon

les vinyles de jeux vidéo, un objet qui trace son sillon


La musique de jeu vidéo ne se cantonne pas aux écoutes durant une partie sur console ou PC. Elle s’invite aussi sur les platines vinyles. Le public est restreint mais la demande est en hausse pour des pressages qui s’écoulent entre quelques centaines et quelques milliers d’exemplaires.

Depuis les bandes originales de titres vieux de plus de vingt ans, comme celle de Diablo II (en précommande) et ses ambiances brumeuses, jusqu’aux références plus récentes, à l’image de Road 96, le catalogue du distributeur de jeux vidéo et de produits dérivés français Just For Games compte deux cents titres. De son côté, l’Allemand Black Screen Records en propose une centaine. Tous deux entendent profiter du Disquaire Day, samedi 23 avril, pour promouvoir leur activité en proposant quelques réductions sur leurs magasins virtuels dédiés à la musique vidéoludique.

« Aujourd’hui, la plupart des médias sont en train d’être numérisés. Mais il y a une bonne partie du public, notamment des collectionneurs ou des fans, qui veulent toujours posséder des objets », constate Kevin Schulz, fondateur et dirigeant de Black Screen Records, l’un des leaders européens du secteur. Son entreprise écoule ainsi chaque année « plusieurs dizaines de milliers de vinyles », détaille-t-il durant un entretien en visioconférence avec Le Monde.

Sur ce marché très pointu, difficile d’obtenir des chiffres de ventes précis. Kevin Schulz nous assure toutefois que la France est son troisième marché, ex æquo avec le Royaume Uni, derrière les Allemands et les Américains. Un amour pour le support à peine refroidi par les frais de port, pourtant prohibitifs, de ces disques souvent importés d’Allemagne ou des Etats-Unis.

Cet essor, qui remonte au milieu des années 2010, accompagne celui du marché du vinyle en France : en 2021, il s’y est vendu 5,2 millions de disques noirs, soit trois fois plus qu’en 2016, selon le Syndicat national de l’édition phonographique SNEP.

La bande originale de Road 96 contient les entêtants « The Road » de Cocoon et « Home Call » de The Toxic Avenger. Le jeu a aussi reçu le Pégase 2022 du meilleur univers sonore.

Une réussite surprise

Kevin Schulz a fondé son entreprise en 2015. A l’époque, cet étudiant de 22 ans meurt d’envie d’ajouter à sa collection de vinyles la bande originale d’Oddworld : New ’n’ Tasty (2014), remake d’un grand classique sorti sur Playstation en 1997, qui l’a « replongé en enfance ». Comme l’objet n’existe pas, pourquoi ne pas le fabriquer lui-même ? Le jeune homme contacte alors par mail le studio responsable jeu :

« Ils sont revenus vers moi en une demi-heure en me donnant leur accord. J’ai pensé : “Mince ! C’était juste une blague, une idée jetée au hasard…” Mais à partir de là, comme ils se disaient intéressés, il fallait que je continue. »

Quelques connaissances dans l’industrie du disque qualifient le projet de « stupide ». Mais sur Internet, la demande est bien présente : Kevin Schulz réussit à financer le premier pressage d’un millier d’exemplaires grâce à des précommandes.

Aujourd’hui encore, la majorité des ventes se font en ligne. Si Black Screen Records propose toujours quelques vinyles « maison », il s’est surtout imposé en distribuant des albums de labels étrangers comme Mondo, Milan Records ou Laced Records.

Depuis septembre 2021, il a cherché à élargir son public en inaugurant à Cologne Popsub, sa propre boutique dédiée à la musique de jeux vidéo. Le trentenaire jovial n’en revient toujours pas de sa propre réussite :

« C’est complètement fou… C’est un rêve pour moi, je n’aurais jamais imaginé pouvoir payer une dizaine d’employés et financer cette boutique grâce à de la musique de jeux vidéo. »

Seuls une poignée de disquaires dans le monde sont consacrés aux vinyles de jeux vidéo. Popsub, situé à Cologne, est l’un d’entre eux. Il propose également des disques de musiques de films d’animation japonaise ou de super-héros en complément.

Flatter les yeux autant que les oreilles

Les Français de G4F, studio spécialisé dans le son dans le jeu vidéo (bruitage, musique, voix, doublage…), connaissent bien le magasin en ligne de Kevin Schulz. L’entreprise fondée en 2008 collabore avec lui depuis qu’elle s’est lancée dans la production de vinyles en 2016. Son fondateur et dirigeant, Vincent Percevault, explique au Monde que l’adaptation d’une musique de jeux sur disque microsillon ne se fait pas d’un claquement de doigts. Elle s’accompagne d’abord d’un traitement spécifique au niveau du mastering, la phase finale de production, afin d’harmoniser les sonorités avec les particularités du support. Le choix des pistes dépend ensuite du minutage de chaque face. Un processus qui se fait en lien avec les compositeurs, qui touchent « quasi systématiquement » des droits d’auteur sur ces ventes de disques.

Enfin, il rappelle que ces disques doivent non seulement flatter l’oreille mais aussi être beaux à voir :

« On est dans le retour au physique. Il faut donc que ce soit un bel objet. On est là pour proposer des objets de collection à forte valeur ajoutée. Cela doit être à la fois graphique et sonore. »

Car le design est ainsi primordial pour ces petits tirages, poursuit Vincent Percevault :

« On essaie de coller avec l’univers du jeu. Chaque objet doit être vraiment unique. Il faut aussi soigner l’aspect physique, par exemple la texture du papier ou le rendu de l’impression. »

Leur formule est née au moment où ils s’occupaient de la bande originale de Furi du studio français The Game Bakers, qui comporte des titres des artistes Carpenter Brut, Lorn ou encore Danger. Ils décident de créer leur premier disque vinyle « collector » car ils considèrent que cet album percutant de synthwave, un genre électro rétrofuturiste, peut séduire au-delà du cercle des amateurs du jeu indépendant. Le pari est payant : il s’est en six ans écoulé « à plusieurs milliers d’exemplaires » selon le dirigeant de G4F, et reste leur meilleure vente.

Selon Julien Cluet, directeur des ventes chez le distributeur Just For Games, les vinyles de jeux vidéo se distinguent dans les bacs à disques : « Quand on regarde les disques de labels [de musique de jeux vidéo] comme I Am 8 Bit, par exemple, on voit la différence. Disques en couleur marbrés, pochettes savamment pliées et designs originaux… L’objet a un fort pouvoir d’appel. Je connais même des gens qui achètent ces vinyles alors qu’ils ne possèdent pas de platine », avance celui qui collectionnait déjà les vinyles avant de se mettre à en vendre.

En plus des CD et des vinyles, le label G4F Records envisage même de proposer des cassettes.

Les presseurs sous pression

Les mondes du vinyle et du jeu vidéo ont beau sembler bien éloignés, ils sont pourtant complémentaires, observe Julien Cluet :

« L’acheteur type de vinyles, en général, est souvent trentenaire, voire plus jeune. C’est la même génération que l’on vise, nous, avec nos produits liés aux jeux vidéo. Des gens qui rentrent dans la vie active ou qui sont cadres, et qui ont les moyens de se faire plaisir. »

Les prix peuvent aussi séduire les amateurs de produits d’univers de pop culture : « A part quelques gros coffrets, un vinyle coûte en moyenne entre 20 et 40 euros », explique Julien Cluet. « C’est une gamme de prix qui est beaucoup plus abordable pour le grand public par rapport aux figurines, par exemple, qui montent rapidement à une centaine d’euros », estime-t-il.

La facture de certains coffrets Deluxe peut cependant se révéler salée. L’édition « Deluxe », quatre disques célébrant la trilogie Mass Effect, est vendue 140 euros. Celle de Doom monte à près de 100 euros, ce qui ne l’empêche pas d’être régulièrement en rupture de stock.

Quoi de plus adapté qu’un vinyle pour prolonger l’esthétique vintage du jeu vidéo « Cuphead » ?

Des difficultés de fabrication viennent cependant freiner cette dynamique, déplore Vincent Percevault.

« Les presseurs sont asphyxiés par les commandes des majors du disque qui repressent tout leur catalogue. Alors qu’avant, il nous fallait trois mois pour obtenir un disque, il nous en faut maintenant six ou sept au minimum. » Difficile, dans ces conditions, de faire coïncider la sortie d’un jeu vidéo et celle du vinyle associé.

Autre point noir : les délais pour obtenir de nouveaux pressages sont longs. En février, au moment de la sortie sur Netflix de la série adaptée du jeu Cuphead (2017), sa bande originale était en rupture de stock. Il aura fallu attendre plusieurs mois pour que les fans de cet hommage aux dessins animés des années 1930 puissent en poser le vinyle sur leurs platines et écouter ses musiques jazzy… artificiellement crachotantes.



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