Un classement « provisoire », mais qui a de fortes chances d’être définitif : ce 10 juillet, le juge José Luis Calama, en charge du dossier d’espionnage de quatre ministres du gouvernement espagnol par le logiciel espion Pegasus, a décidé de classer provisoirement l’enquête. Le magistrat a expliqué dans un communiqué avoir pris cette décision en raison de « l’absence absolue de coopération judiciaire d’Israël ».
En mai 2022, les services de sécurité espagnols avaient annoncé avoir découvert des traces de tentatives d’infection par Pegasus sur les téléphones de quatre ministres du gouvernement de Pedro Sanchez. Le renseignement espagnol avait pu confirmer que deux terminaux particulièrement sensibles avaient été infectés par le puissant logiciel espion de la société israélienne NSO Group : les portables officiels de M. Sanchez et de sa ministre de la défense, Margarita Robles. Selon le quotidien El Pais, les hackeurs ont extrait 2,6 gigabits de données de l’appareil de M. Sanchez, et 9 mégas sur celui de sa ministre.
Ces révélations avaient conduit à la saisie d’un juge de l’Audience nationale, le tribunal compétent pour les dossiers de terrorisme ou d’atteinte à la sûreté de l’État. Mais après plus d’un an de procédure, l’enquête est au point mort. Le juge Calama souhaitait notamment interroger les dirigeants de NSO Group, l’entreprise israélienne qui commercialise Pegasus, et avait demandé pour cela la collaboration des autorités israéliennes afin de les contraindre à comparaître. Ces dernières « n’ont pas répondu à la commission rogatoire » et ne le feront « probablement jamais », écrit le magistrat, estimant que les analyses techniques menées par le renseignement espagnol ne permettent pas d’identifier les auteurs de ces piratages.
L’Etat victime et client
Mi-juin, le Parlement européen avait adopté le rapport de sa commission d’enquête consacrée à Pegasus et aux logiciels espions, lancée après les révélations du Monde et de ses partenaires au sein du consortium Forbidden Stories, à l’été 2021. Dans ses recommandations, ce rapport demandait à l’Espagne d’enquêter de manière approfondie sur les piratages ayant visé son gouvernement. Une requête très critiquée par la presse marocaine : les services de renseignement marocains font figure de principal suspect dans cette affaire.
A l’époque des infections repérées par les services espagnols, le pays était engagé dans un bras de fer diplomatique avec le Maroc. Le 20 mai 2021, Rabat avait relâché ses contrôles à sa frontière avec l’enclave de Ceuta, laissant plus de 8 000 migrants rejoindre clandestinement ce territoire espagnol. Mme Robles avait alors qualifié cet afflux soudain d’« agression à l’égard des frontières espagnoles mais aussi des frontières de l’Union européenne ». Rabat nie avoir jamais acheté ou utilisé Pegasus, malgré les preuves techniques pointant vers le Maroc dans des dizaines de cas de piratage documentés en France ou au Maroc, dont des tentatives sur le téléphone d’Emmanuel Macron et de plusieurs de ministres français.
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