La moitié de sa population n’a pas accès à l’électricité et la loi interdit toujours l’usage des cryptomonnaies, mais l’Ethiopie pourrait cependant devenir la future place forte du minage de bitcoins en Afrique et un acteur majeur dans le monde.
En 2022, le gouvernement éthiopien a légalisé le minage de cryptomonnaies – processus consistant à résoudre des équations de plus en plus complexes à l’aide d’ordinateurs pour valider les transactions en monnaies électroniques, dont les bitcoins. Deux ans plus tard, une vingtaine d’entreprises posent leurs conteneurs et superordinateurs de minage aux abords de la capitale.
En février, Addis-Abeba a signé des accords de fourniture d’électricité avec vingt et une entreprises, dont dix-neuf chinoises, pour qu’elles puissent être reliées au réseau éthiopien. Une aubaine pour ces fermes de bitcoins, qui cherchent désespérément de nouveaux marchés après avoir été interdites en Chine en 2021, puis poussées vers la sortie dans d’autres pays – notamment au Kazakhstan et en Islande – en raison de la crise énergétique que ces énormes consommateurs d’électricité ont aggravée. Le minage de bitcoins dans le monde utilise plus d’énergie en une année (121 térawatt-heures) qu’un pays comme l’Argentine.
L’achèvement du grand barrage de la Renaissance
« La course pour accéder à une énergie électrique suffisante s’intensifie dans le monde, explique Batyr Hydyrov, président d’Uminers, qui prévoit d’installer 24 000 machines dans la capitale éthiopienne d’ici à l’automne. Le ralentissement global du minage est dû à la rareté des sites d’installation et à une capacité électrique limitée. » Sur ces deux points, l’Ethiopie a les atouts pour s’imposer comme un futur eldorado pour les mineurs de bitcoins.
Après des années de bataille diplomatique avec le Soudan et l’Egypte, l’Ethiopie est en passe d’achever son grand barrage de la Renaissance sur le Nil, le plus grand d’Afrique (5 300 mégawatts), qui devrait à lui seul doubler sa production d’électricité. Les autorités éthiopiennes entendent utiliser ce surplus d’énergie verte pour alimenter les immenses fermes de minage.
Ces dernières sont présentées en Ethiopie comme l’outil qui pourrait, à terme, devenir le principal pourvoyeur de devises étrangères devant le café et l’or. Le pays connaît une grave crise économique depuis la guerre civile du Tigré (2020-2022). Depuis son exclusion de l’accord commercial américain AGOA (« Loi sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique ») en janvier 2022, l’Ethiopie fait face à la fuite des entreprises étrangères sur son sol et à une pénurie de devises.
« Le gouvernement fait d’une pierre deux coups, précise Dawit Mengistu, le fondateur du réseau Ethiopian Blockchain. A la fois, l’achat des licences et de l’électricité rapporte du dollar et, à la fois, nous vendons l’énergie que nous n’utilisons pas. » Le cabinet Luxor Technologie estime que l’Ethiopie dispose de quelque 3 000 mégawatts de surplus d’électricité.
Un réseau électrique vétuste
« C’est assez pour que les mineurs le monétisent, ce qui permettra ensuite de développer d’autres infrastructures », avance Alessandro Cecere, l’un des chercheurs du cabinet. En plus d’être abondante, l’électricité éthiopienne est bon marché – environ un tiers moins chère qu’au Texas, le fief mondial du minage de bitcoin.
« Le potentiel de production d’électricité en Ethiopie est illimité, mais la distribution est épouvantable », reconnaît cependant Kal Kassa, un entrepreneur dans les cryptomonnaies basé à Addis-Abeba, où les coupures sont récurrentes. Fin mars, une panne a plongé le pays dans le noir pendant quatre heures.
L’Ethiopie perd jusqu’à 23 % de son électricité en raison des « capacités des réseaux de transport ou leur vétusté, la fiabilité et qualité des réseaux de distribution souvent vieillissants », selon une note de la direction générale du Trésor français. Pour moderniser le réseau, la Banque mondiale a accordé à l’Ethiopie un prêt de 523 millions de dollars en avril.
Du reste, l’Ethiopie bénéficie d’un avantage géographique. Les outils de minage, qui rejettent de larges quantités de chaleur, nécessitent un approvisionnement constant en électricité pour les refroidir.
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« Addis-Abeba est située au-dessus de 2 000 mètres d’altitude et les températures redescendent vite sous les 20 degrés. Donc vous économisez énormément d’argent car les ordinateurs refroidissent quasiment seuls », estime Kal Kassa, qui considère que l’activité pourrait rapporter près de 2 milliards de dollars chaque année à l’Ethiopie. Selon lui, le pays a les capacités d’accueillir 5 % des activités mondiales de minage d’ici à deux ans.
Des prix de l’énergie défiant toute concurrence
Pour l’heure, la quasi-totalité des entreprises ayant obtenu une licence ont leur siège social en Chine. « Il est évident qu’il y a eu un accord politique avec les Chinois », confie, sous réserve d’anonymat, un investisseur européen qui a déployé ses machines en Ethiopie sous la licence d’une ferme de minage chinoise. « C’est la rencontre entre l’intérêt du gouvernement éthiopien pour emmagasiner du dollar et l’intérêt des entreprises chinoises de trouver une nouvelle base et de l’énergie à bas coût », résume-t-il.
Addis-Abeba et Pékin entretiennent d’étroites relations économiques depuis des décennies. La Chine détient les trois quarts de la dette bilatérale éthiopienne après avoir massivement investi dans les infrastructures du pays, notamment la ligne de chemin de fer reliant Addis-Abeba à Djibouti ou dans des lignes de transmission reliant le grand barrage de la Renaissance sur le Nil avec le reste du territoire.
Pour l’Ethiopie, le minage de cryptomonnaies, activité extrêmement énergivore, est un pari risqué car il pourrait mettre en péril sa sécurité énergétique, comme ce fut le cas au Kazakhstan et en Islande, où les réseaux se trouvaient régulièrement saturés par les fermes de bitcoins. Il appartient à Addis-Abeba de décider si les revenus issus du minage seront alloués aux objectifs de relier des millions d’Ethiopiens à l’électricité. Aujourd’hui, l’Ethiopie « connaît le troisième plus grand déficit d’accès à l’énergie en Afrique subsaharienne, avec environ la moitié de la population n’ayant toujours pas accès à une électricité fiable », selon la Banque mondiale.
Quant aux entreprises de bitcoins, si elles se disent séduites par des prix de l’énergie défiant toute concurrence, elles suivront de près la réglementation locale. Pour l’heure, une seule taxe sociale (3 %) est imposée aux mineurs. Mais le gouvernement éthiopien s’apprête à augmenter la fiscalité. Le second pays le plus peuplé d’Afrique présente également un risque politique. Moins de deux ans après la fin de la guerre du Tigré, près de la moitié du territoire éthiopien reste inaccessible, en proie aux insurrections et à l’instabilité.