En matière de logiciels espions, en Europe, les scandales se suivent et les réactions politiques se ressemblent. Chaque mois ou presque, les médias révèlent une nouvelle histoire sur ces programmes haut de gamme capables d’aspirer tout le contenu de votre téléphone ; ici, un mouchard utilisé illégalement par un pays européen ; là, un logiciel espion ayant ciblé un réfugié politique, un avocat, une journaliste, et même un commissaire européen.
Qu’on en juge : rien que depuis le 1er septembre, l’ancienne cheffe du renseignement espagnol a été inculpée dans l’enquête sur l’espionnage illégal d’indépendantistes catalans, des traces du logiciel Pegasus ont été retrouvées sur le téléphone de la journaliste russe Galina Timchenko (qui vit en Lettonie) et, au début du mois d’octobre, Mediapart et ses partenaires européens révélaient, entre autres, que la France avait fermé les yeux sur la vente du programme Predator par une entreprise française à un « acteur étatique » vietnamien et à Madagascar, où la démocratie vacille. Enfin, ces derniers jours, Le Monde et ses partenaires du projet « Cyprus Confidential » ont révélé de nouveaux détails sur la manière dont le groupe de cybersurveillance Intellexa et son fondateur ont pu opérer en toute impunité depuis l’Union européenne (UE), à Chypre.
Impunité quasi totale en Europe
Bien sûr, au sein de l’UE, certains des abus les plus flagrants font l’objet d’enquêtes, qui parfois aboutissent. En Espagne, la surveillance indiscriminée de militants catalans a débouché, sept ans après les faits, sur des inculpations. Mais le temps judiciaire, surtout sur des dossiers aussi complexes et techniques souvent liés au renseignement, est particulièrement long. En France, la procédure pour complicité de torture en Libye contre la société française Amesys (renommée aujourd’hui Nexa) est toujours en cours après de multiples rebondissements, pour des faits datant de 2011. Ailleurs, en Europe, la justice met visiblement peu d’empressement à se mêler de dossiers touchant à la politique, comme en Grèce, où le gouvernement est soupçonné d’avoir utilisé Predator contre des adversaires politiques.
Résultat : utilisateurs, concepteurs et revendeurs de logiciels espions jouissent, en pratique, d’une impunité quasi totale sur le territoire européen. Ce qui fait dire à Sophia In’t Veld, la rapporteure de la commission d’enquête européenne PEGA (sur l’utilisation de Pegasus), que « les victimes n’ont aucun recours effectif ». L’eurodéputée néerlandaise (Renew), connue pour son franc-parler, ne décolère pas depuis deux ans, estimant que les institutions européennes comme les gouvernements de l’Union ne veulent pas voir le problème en face.
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