OpenAI reproche à Sam Altman une mauvaise communication et un manque de franchise avec son conseil d’administration. D’autres y voient du « factionnalisme ». Que s’est-il passé pour que l’entreprise la plus en vue du moment dans l’intelligence artificielle en arrive à cette éviction ?
Au lendemain du limogeage de Sam Altman en tant que CEO d’OpenAI par son conseil d’administration, le suspense est à son comble. Sur le web, les réactions comme les hypothèses se multiplient au sein de la communauté technologique sur les raisons d’une annonce qui a fait la stupéfaction de tous, et qui restera certainement comme la plus inattendue de l’année.
L’enchaînement fut particulièrement bref. « [Jeudi soir], Sam a reçu un texto d’Ilya lui demandant de parler vendredi midi. Sam a rejoint un Google Meet et tout le conseil d’administration, à l’exception de Greg, était là. Ilya a dit à Sam qu’il était licencié et que la nouvelle serait publiée très bientôt », expliquait sur le réseau social X, Greg Brockman, le Président d’OpenAI, qui s’est résigné à quitter son poste suite à l’annonce vendredi.
Quelques minutes à peine ont suffit pour que Sam Altman, puis Greg Brockman, puis les médias et le monde entier aient vent de cette décision surprise. Quant à Microsoft, qui détient 49 % d’OpenAI et qui est intimement liée à ses projets, son patron Satya Nadella aurait appris la nouvelle une minute seulement avant la publication du communiqué de presse. Un déroulement constituant à lui seul un problème – ou une explication du problème. Comment une telle décision pourrait être aussi brutale, pour ne pas dire saugrenue ?
Ilya Sutskeve, l’homme qui a fait pencher la balance ?
Pour Andrew Côté, le fondateur du AI Salon à San Francisco, l’explication la plus probable tiendrait d’un factionnalisme renversé au sein de la direction et des cofondateurs. « Il est peu probable que ce départ soit lié à quoi que ce soit concernant les opérations, la consommation de trésorerie, la capacité à établir des partenariats », dissertait-il avant d’ajouter que « OpenAI a une forte capacité à lever des fonds, ils ont d’énormes flux de trésorerie et seulement quelques centaines d’employés ».
Derrière ce qu’il entend par factionnalisme, il y aurait eu alors deux groupes au sein du conseil d’administration : « d’un côté Sam, Greg, et Ilya, contre Adam, Tasha et Helen ». Un bras de fer équilibré (3 contre 3) ces derniers mois, jusqu’à ce que Ilya Sutskeve, selon Andrew Côté, fasse pencher soudainement la balance. Un changement d’équipe suite à un désaccord sur une avancée majeure chez OpenAI, que Sam Altman mentionnait pas plus tard que jeudi, lors du Sommet des PDG de la Coopération économique Asie-Pacifique à San Francisco.
Ilya Sutskeve, directeur scientifique d’OpenAI passé responsable en début d’année de veille aux risques de dommages sociétaux de l’IA, n’aurait alors pas voulu suivre Sam Altman et Greg Brockman dans leur projet de commercialiser trop rapidement un nouveau logiciel (en lien à GPT-5 ?). « Je parierais qu’Ilya est le vote qui les a tous sortis de l’impasse et conduit dans le même temps au départ de Sam. […] Il s’agissait très certainement d’un clivage entre des partisans de la sécurité et des partisans de l’accélération », ajoutait Andrew Côté.
Peu après l’éviction, une réunion a été organisée en interne pour répondre aux questions des employés, choqués par le départ consécutif de Sam Altman et de Greg Brockman. The Information, qui a pu interroger certains participants, confirmait qu’un clivage existait bien et que les dirigeants avaient dû choisir « entre mettre l’accent sur les bénéfices plutôt que sur la sécurité ». Ilya Sutskeve se voulait rassurant, en indiquant que ce remaniement allait ainsi permettre « de nous sentir plus proches » – une décision qui ne serait donc pas un « coup d’État » ou une « prise de contrôle hostile », comme le craignent certains.
Clivage de court ou de long terme ?
OpenAI est la vitrine actuelle de l’intelligence artificielle pour le grand public. Mais elle n’est pas une entreprise « installée » pour autant. Les choix stratégiques qu’elle prend peuvent donc l’emmener dans des directions très diverses, d’autant plus influencées par les investisseurs, les États, et les questions d’éthique. Un différend sur la stratégie de long terme pourrait aussi être une explication possible au clivage qui a conduit à l’éviction de Sam Altman.
Sauf si le « manque de franchise » avancée dans le communiqué d’OpenAI et reproché à son CEO résulte d’un projet de plus court terme ? D’un mensonge ?
D’autres hypothèses sont en effet avancées et l’une porte sur le prochain financement négocié par OpenAI. L’entreprise est en pleine préparation d’une nouvelle levée de fonds et certains imaginent Sam Altman avoir mené, en évitant son conseil d’administration, un projet pour une transaction importante. Les autres membres auraient pu alors se sentir exclus, ou en fort désaccord avec l’intention même derrière le projet. Une inclusion plus profonde dans le contrôle de Microsoft ? Un projet externe ?
Enfin, l’hypothèse de l’incident. Avant sa chute de la direction d’OpenAI, Sam Altman se concentrait sur l’arrêt soudain des inscriptions à ChatGPT Plus, en raison d’une demande écrasante. Une pause, non pas pour des raisons économiques ou de sécurité, mais plutôt une pause technique, quelque chose qui n’est pas étranger à l’industrie de l’intelligence artificielle tant les programmes nécessitent de grosses ressources.
Or OpenAI essuyait, quelques jours plus tôt, un autre arrêt du même genre, cette fois chez Microsoft. La suspension fut brève, mais pour le coup, la société avait bien avancé la raison d’un problème de sécurité, dans un communiqué. « En raison de problèmes de sécurité et de données, un certain nombre d’outils d’IA ne sont plus disponibles pour les employés » pouvait-on lire le 9 novembre dernier. Si Sam Altman avait minimisait l’incident dans sa communication, cela aurait pu porter le reste du conseil d’administration à se poser des questions et rompre leur confiance.