Lichess, deuxième site de jeu d’échecs le plus visité au monde, libre et fier de l’être

Lichess, deuxième site de jeu d’échecs le plus visité au monde, libre et fier de l'être


 

Tournoi d’échecs en juillet 2013 en République tchèque. Photo StefanKna / Wikimedia Commons / CC by-sa


En août, la Fédération française des échecs (FFE, qui revendique 68.000 licenciés) annonçait un partenariat avec la plateforme Immortal Game. Cette dernière, entreprise créée en 2021, a levé 15,5 millions d’euros en 2022. Ce partenariat a suscité il y a quelques jours l’étonnement et les critiques de l’association française Lichess.org:

Un service lié aux NFT?

«La FFE a récemment annoncé son partenariat avec Immortal Game, vantant « une plateforme française, […] avec laquelle nous partageons les mêmes valeurs et objectifs. » Or, Immortal Game est une entreprise privée dont un des aspects centraux porte sur les cryptomonnaies et les NFTs. Ces actifs sont actuellement dans le viseur des autorités en Europe et aux États-Unis, notamment à cause d’innombrables fraudes et arnaques du secteur qui visent souvent les personnes les plus vulnérables, ces mêmes personnes que la FFE se doit tout particulièrement de protéger.

À l’opposé de tout cela, lichess.org est une association française loi 1901 qui fonctionne grâce aux bénévoles et aux dons depuis plus de dix ans. C’est le serveur d’échecs numéro un en France et deux dans le monde, et toutes nos fonctionnalités sont accessibles gratuitement et pour tous, sans aucune publicité ou traqueur.

Tous nos logiciels sont libres/open-source, c’est-à-dire qu’ils peuvent être réutilisés, partagés et améliorés gratuitement. L’État recommande d’utiliser des logiciels libres.

A l’aune de ces éléments, les valeurs communes citées par la fédération sont loin d’être évidentes.

Nous sommes convaincus que les joueurs méritent mieux. Nous nous étonnons également de ne pas avoir été contacté malgré de précédentes collaborations et questionnons l’opacité entourant cette désignation.»

En outre, ajoute l’association, «Mathilde Choisy, ancienne directrice générale de la FFE, émet des doutes quand à la légalité de ce partenariat, indiquant dans un communiqué que: « le code de la consommation, article L222-16-2 interdit le parrainage et le mécénat lorsqu’ils ont pour objet OU effet la publicité directe ou indirecte en faveur de service sur actifs numériques sauf à être agréé PSAN (ce qui n’est pas le cas de Immortal). »

Un compte-rendu de réunion du comité directeur de la FFE (de juin 2023) indique (p. 19):

«Bachar Kouatly demande s’il a été vérifié la légalité d’un partenariat avec Immortal Game qui est associé avec de la cryptomonnaie. Éloi Relange le rassure sur le sérieux de cette société française, dont le siège est situé très proche de la Fédération et emploie 30 salariés. Il explique qu’Immortal Game propose effectivement des NFT, avec un mode de jeu introduisant de nouvelles règles (avec par exemple un roi qui ne peut pas jouer plus de 3 fois dans la partie). Toutefois, leur intention première est de faire une plateforme de jeux standard, où il est possible de jouer avec les règles du jeu classiques de la même manière que sur d’autres plateformes telles que Chess.com ou Lichess. Le modèle économique n’est plus centré sur les NFT.»

5 millions de parties par jour

Au-delà de cette controverse, c’est l’occasion de souligner la remarquable place que s’est faite Lichess (son article dans Wikipédia): créé en 2010 par un Français, Thibault Duplessis, le site, sous licence libre, indique compter plus de 5 millions de parties jouées par jour. Soutenu par une association loi de 1901, ce serait ainsi le deuxième site de jeu d’échecs au monde derrière Chess.com, qui est, lui, un site commercial.

Interviewé fin 2022 par Konbini, Thibault Duplessis a raconté la genèse du site, développé petit à petit. «J’ai apporté les 3 principes de base : que les codes et les données soient libres, que personne ne paie quoi que ce soit, en tout cas pas un prix fixe, et qu’il n’y ait ni publicité ni tracker. Au début les gens me disaient “ça ne marchera jamais, tu finiras par le vendre, par mettre des pubs”… On a prouvé que c’était possible de faire ça !

Je me souviens, au début il n’y avait même pas de système de don dessus. Au bout d’un moment les gens ont râlé, ils voulaient que je mette un système de don pour qu’ils puissent m’aider à payer les serveurs… Moi je ne voulais pas que les gens sortent leur carte bleue, les coûts étaient abordables. Il a fallu que la communauté insiste.

Et les gens qui donnent aujourd’hui pour Lichess ne reçoivent rien en retour, c’est purement désintéressé. Le plus gros montant qu’on ait eu, ça devait être 500 euros. La moyenne tourne plutôt autour de 3 euros.»

«Tout le travail qu’on fait est immédiatement publié, donc on enrichit l’écosystème des échecs… et il y a d’ailleurs plein de sites commerciaux qui sont apparus derrière en utilisant une partie ou la totalité de notre code source.

N’importe qui peut proposer une modification sur le code pour corriger un bug, rajouter une fonctionnalité… Moi mon travail c’est de tout lire, en discuter, et l’intégrer aux serveurs. C’est vraiment un projet pour la communauté d’échecs et par la communauté d’échecs.

J’ai aussi développé le mode “Study”, qui permet d’étudier les échecs avec une IA, de comparer ses coups avec d’autres joueur·euse·s… Et j’en suis super fier, parce que ça n’existait pas, et ça n’existe d’ailleurs toujours pas en dehors de Lichess. C’est un de nos rôles : promouvoir et favoriser l’enseignement de la pratique du jeu d’échecs et ses variantes. Et ça va encore plus loin que le code source parce qu’on va aussi publier toutes nos données. Toutes les parties, les puzzles, qui sont joués sont publiées… Tous nos coûts sont publics aussi.

L’inverse de nos “concurrents” actuels. Les serveurs commerciaux ne distribuent jamais leur travail à personne, n’acceptent pas que quelqu’un contribue, ne partagent pas leurs données… Ils ferment tout, sont dans un objectif de tout cloisonner et d’enfermer les joueurs pour les faire payer le plus possible.»

« Aujourd’hui on est environ 150 personnes dans l’équipe, dont une quinzaine rémunérée. La grande majorité s’occupe de la modération, surtout pour lutter contre la triche et les comportements haineux. On est deux en CDI, employé·e·s par l’asso, sans patron mais surtout, et c’est fantastique, sans client.»

« Un projet open source typique »

En mai 2021, dans une interview au Journal du Net, Thibault Duplessis expliquait:

«C’est un projet open source typique comme il en existe des milliers, j’ai juste eu la chance d’être là au bon moment. Tout le code est libre et tout le monde peut proposer des modifications, corriger des bugs ou apporter de nouvelles fonctionnalités. On me les propose, on en discute puis c’est mis en ligne. Il y a beaucoup de contributeurs, j’aurais été incapable de créer tout ça seul. Entre 100 et 200 contributeurs ont créé du code sur Lichess. Mais il n’y a pas que ça comme mode de contribution. Il y a beaucoup à faire pour gérer la communauté. Lichess est une sorte de réseau social pour les échecs avec des forums, des chats… On a une équipe d’une cinquantaine de modérateurs qui sont devenus indispensables. Il y a des équipes qui vont relayer tous les grands tournois qui se passent dans le monde. Lichess paie aussi des pro des échecs pour créer des contenus, des leçons par exemple. Notre idée, c’est de donner les moyens aux gens de répondre à leurs propres besoins.»

Et à une question sur la gratuité, contrairement aux autres grandes plateformes du secteur:

«La gratuité n’est pas vraiment au cœur du projet. Ce qui est important pour nous c’est que ce soit du logiciel libre. On ne veut pas de tracker sur le site ou proposer de la publicité. Nous voulons proposer un service de qualité, gratuit, dont les gens vont se servir et qui ne se sert pas des gens. Je voulais montrer ça. Il existe des services payants sur Internet et c’est tout à fait normal. Nous même, nous avons des centaines de coachs sur Lichess qui proposent leurs services, bien entendus payants. Mais Lichess reste gratuit car c’est une promesse qui a été faite à l’origine. Par ailleurs, sur Lichess, nous avons des contributeurs. Et beaucoup donnent, autant qu’ils auraient donné à un site payant pour un abonnement. On est complètement transparents sur les dons et les coûts.

Les dons couvrent 100% de nos coûts.»

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