Carnet de bureau. Lorsqu’un recruteur est confronté à deux recommandations contraires pour embaucher le petit nouveau, l’une provenant d’un humain et l’autre de l’intelligence artificielle (IA), laquelle va-t-il suivre ?
Deux chercheurs en sciences de gestion, Alain Lacroux, de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, et Christelle Martin-Lacroux, de l’université Grenoble-Alpes, se sont intéressés à la question, pour y voir plus clair sur l’influence des algorithmes sur la sélection des dossiers de candidature. Les conclusions de leurs études expérimentales, menées en préambule d’un appel à projet de recherche pour le ministère du travail et publiées fin septembre, démontrent qu’on ne se méfie jamais assez de soi-même.
L’usage de l’intelligence artificielle dans les ressources humaines, relativement récent en France, a franchi la porte des entreprises : « 50 % des recruteurs déclarent utiliser au moins un outil associé à l’IA au cours de leur processus », fait savoir Christelle Martin-Lacroux.
A chaque étape du recrutement – sourcing, rédaction des offres d’emploi, qualification de candidature, entretien, matching, etc. –, l’intelligence artificielle est une promesse d’efficacité gagnée : diversification des candidatures, annonces non biaisées, préqualification rapide, décryptage du langage non verbal pendant les entretiens, choix plus objectif par le matching algorithmique, etc. Mais qu’en font réellement les responsables des ressources humaines ?
Même lorsqu’il se trompe
L’expérimentation des deux chercheurs a consisté à évaluer les réactions d’un panel de recruteurs devant deux CV qui leur ont été soumis, l’un pertinent, l’autre pas, assortis d’une recommandation faite soit par un algorithme, soit par un responsable RH. Dans un premier temps, le recruteur devait exprimer son niveau de confiance dans la recommandation, avant de noter le CV, puis d’en choisir un.
Lors de l’expérimentation, les recruteurs ont déclaré avoir davantage confiance dans l’expert humain que dans les algorithmes, même lorsqu’il se trompe et recommande le moins bon dossier de candidature. Il est vrai que les raisons de se méfier de l’assistance de l’intelligence artificielle ne manquent pas, comme les biais discriminatoires par exemple.
Pourtant, au moment de choisir le CV, au grand étonnement des chercheurs, et malgré les déclarations de plus grande confiance dans les recommandations des responsables des ressources humaines, les recruteurs ont suivi les conseils des algorithmes. « Les recommandations conflictuelles peuvent amener les recruteurs à une forme de paresse cognitive, avance Alain Lacroux, qui s’appuie sur la logique suivante : comme je ne sais pas comment ça marche mais qu’on me le recommande, ça ne doit pas être aussi mauvais ».
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