Son Goku est orphelin. Akira Toriyama, le créateur du héros de Dragon Ball, l’un des plus célèbres mangas de l’histoire, écoulé à 260 millions d’exemplaires à travers le monde, est mort à 68 ans. Son décès, le 1er mars, n’a été annoncé qu’une semaine plus tard par sa famille. « Prix spécial d’Angoulême en 2013, chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en France en 2019, le plus rural des mangakas restera comme un pilier de la culture populaire planétaire », résume William Audureau dans la nécrologie que lui consacre Le Monde. Le manga perd là l’une des figures majeures qui lui avait permis d’essaimer bien au-delà des frontières du Japon.
Dans les colonnes du Monde, le mot « manga » apparaît d’abord de manière sibylline, le 9 mars 1980, au détour d’un article de Jacques Siclier sur Mondocartoon, une anthologie du dessin animé mondial. Au sein d’une liste de films bulgare, américain et franco-polonais, le journaliste évoque « les gags rapides, cruels, percutants du Japonais Yoji Kuri (Manga, qui pourrait être une suite de bandes dessinées de trois ou quatre images) ». Sans préciser aux lecteurs de quoi il retourne.
Il faut attendre le 8 juillet 1985, dans un article au titre tintinesque, « Mille millions de mille mangas », pour que Roland-Pierre Paringaux, correspondant à Tokyo, distingue un véritable « raz de marée de papier ». « Mangas ? Ce ne sont pas des fruits et ça ne se mange pas, ce sont des feuilles que l’on dévore, juge-t-il utile de préciser. Des feuilles ornées de noirs dessins (pas de couleur ici) dont les équivalents sont – toutes proportions gardées – en anglais les comics et en français les BD. »
Du conte moral au porno soft
Le manga moyen « compte de 300 à 600 pages », vite lues, explique le journaliste, qui jongle avec les chiffres pour illustrer le phénomène nippon : « 3 000 scénaristes et dessinateurs », « des dizaines de millions de lecteurs » et un « engouement massif qui a fait ici passer les tirages de 40 millions en 1965 à plus de 1 000 millions aujourd’hui ». Soit un quart des livres alors vendus au Japon chaque année.
« C’est le fast-food de la littérature dite de distraction, estime le correspondant. On en trouve pour tous les goûts, tous les âges, tous les genres : série noire et pages roses, soft porno, humour et science-fiction, sport et romances, samouraïs et collégiens, robots et contes moraux. »
Une passion, relève-t-il toutefois, qui « irrite la génération d’avant-guerre » : « Elle détournerait de l’étude et de la “vraie littérature”. Des associations de parents luttent contre l’épidémie. Un livre intitulé Manga : La ruine des cerveaux japonais a sonné l’alarme. Mais que pèsent ses quelques milliers d’exemplaires face à la marée manga ? »
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