Les processeurs souverains chinois « Loongson » ont été placés sur une liste de produits interdits à l’exportation, même vers la Russie. Privant le pays de Poutine d’une alternative aux puces AMD et Intel.
La Chine ne sera pas une alternative aux USA en matière de semi-conducteurs pour la Russie. Privée de canaux officiels d’achat de processeurs américains depuis sa brutale invasion de l’Ukraine en février dernier, la Russie se bat pour mettre la main sur des composants électroniques… et se voit trahie par son « allié » chinois.
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Selon le quotidien russe Kommersant, le gouvernement de Xi Jinping a en effet placé les processeurs Loongson sur la liste des composants de grades militaires interdits à l’export, même à la Russie. Privant cette dernière d’une source de puces pourtant dépourvue de barrières américaines, puisque ces processeurs sont souverains. L’architecture MIPS n’est plus développée qu’en Chine (même MIPS a basculé sur RISC-V !), les différents blocs logiques de ces puces sont conçus sur place, de même que la fabrication qui est confiée au champion local de la lithogravure, SMIC. En clair : des puces 100% hors de contrôle des USA. Et malheureusement pour la Russie, hors de portée de son complexe militaro-industriel.
De l’importance des technologies souveraines
Comme l’épisode du Huawei Gate l’avait récemment mis en lumière, la conception et fabrication des processeurs est une chaîne globale… avec quelques puissances dotée d’un pouvoir de « véto » – notamment les USA. Grâce à de nombreux mécanismes de contrôle, de propriété intellectuelle et une diplomatie efficace, les USA ont pu complètement étouffer Huawei. Tant du point de vue logiciel (privation des Google Mobile Services) que matériel avec l’interdiction faite à Taïwan de graver les puces de Huawei (HiSilicon). Ce précédent et le blocage d’exportation de puces chinoises à la Russie mettent en lumière l’importance d’avoir une souveraineté dans le domaine des semi-conducteurs. Ce sont ces composants qui sont à la fois responsables de l’envoi d’une photo sur Instagram, autant que de la détection (ou du guidage !) d’un missile.
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La Chine en a pleinement conscience. Des CPU aux GPU, de la mémoire aux ISA (architectures processeurs) jusqu’à la fabrication des puces, le titan asiatique investit sans relâche pour ne plus dépendre de la propriété intellectuelle – et du bon vouloir américain. En dépit du fait que le développement de la filière soit une priorité absolue pour le pays, les différents blocages voire boycottages américains rendent la route chinoise vers l’indépendance longue et incertaine. Aussi, quand bien même les Russes auraient cette même volonté exacerbée d’indépendance, ils n’en ont ni les moyens, ni les talents.
La Russie dans les limbes
Si les Chinois peuvent s’appuyer sur un gouvernement conscient et un énorme complexe industriel, les Russes n’ont pas ce luxe. L’état de l’industrie électronique du pays est catastrophique : les capacités de productions sont extrêmement faibles et la meilleure fab du pays, qui grave actuellement en 130 nm, devrait pouvoir produire des processeurs 90 nm d’ici à la fin de cette année. Un procédé qui est rentré en production de masse en 2003. Oui, vous avez bien lu : dans le meilleur des cas, la Russie a au moins 19 ans de retard. Retard qui ne sera pas comblé par l’ambitieux projet industriel du pays d’atteindre les 28 nm en 2030. Si la Russie y arrive, elle creusera son retard puisqu’elle aura alors 24 ans de décalage avec le reste du monde (le 28 nm date de 2006 !).
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Si le pays développe bien ses propres processeurs (sans pouvoir les produire), les banques nationales les ont toutes jugés trop mauvais pour remplacer ne serait-ce que les postes clients des employés. En outre, de nombreux employés de la tech ont fui le pays dans les premiers mois de la guerre. La plupart des « cerveaux » du numérique, plutôt spécialisés en logiciels, sont donc inaccessibles pour les entreprises comme le gouvernement. Contrairement aux ingénieurs chinois qui font souvent des allers-retours avec l’occident. En rapportant parfois avec eux de précieux savoirs.
Incapable de produire ses propres puces et désormais assuré de ne pouvoir mettre la main sur des puces chinoises, la Russie va ainsi devoir continuer de bricoler. Utilisant, çà et là, différents marchés parallèles. Des marchés plus onéreux, moins volumiques et sans les garanties et support traditionnelles. Un étau qui rend la tâche des industriels locaux encore plus difficile. C’est le prix que ces entreprises payent pour la violence gratuite de leur gouvernement.
Source :
Radio Free Europe