Pour Julian Assange, l’heure des derniers recours a sonné. Le sort du fondateur de WikiLeaks, à l’origine de la publication il y a près de quinze ans de centaines de milliers de documents confidentiels sur les activités militaires et diplomatiques des Etats-Unis, en particulier en Irak et en Afghanistan, est en effet suspendu à la décision de deux magistrats britanniques.
Ces derniers devaient se pencher les 20 et 21 février sur la décision de la Haute Cour de justice de Londres, qui s’est opposée en juin 2023 à ce qu’il puisse faire appel de son extradition aux Etats-Unis acceptée par le gouvernement britannique un an plus tôt. De nationalité australienne, Julian Assange y est poursuivi pour espionnage, la qualification retenue en 2019 par l’administration de Donald Trump qui piétine en la matière le devoir d’informer, et encourt une peine potentielle de 175 ans de prison.
Il faut espérer de ces deux juges un signe d’humanité permettant à Julian Assange de continuer à lutter contre une extradition qui nourrirait, si elle se matérialisait, cette inextinguible vindicte américaine. Les raisons ne manquent pas. Quelles seraient en effet les garanties d’un procès équitable ? Et que vaudrait par ailleurs l’engagement des actuelles autorités américaines de ne pas l’incarcérer après une éventuelle condamnation dans une prison de très haute sécurité, synonyme de bannissement du monde dans le cas d’une nouvelle alternance politique ?
Le lanceur d’alerte, qui s’était associé en 2010 à cinq journaux, dont le Guardian, le New York Times et Le Monde, pour publier ces documents en garantissant la protection des sources, avait alors contribué à l’essor d’un nouveau type de journalisme d’investigation, consacré au traitement de dizaines de milliers de données numériques.
Œuvre utile
Julian Assange s’est, hélas, perdu ensuite dans bien des impasses. De sa stratégie d’évitement vis-à-vis de plaintes, aujourd’hui classées, d’agressions sexuelles à ses compromissions avec le régime russe, sans doute par aveuglement antiaméricain, son image et son crédit ont été considérablement érodés.
Depuis plus de dix ans, avec sa réclusion volontaire dans l’ambassade de l’Equateur à Londres pour échapper à ses premières poursuites, puis son emprisonnement dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, près de la capitale britannique, il a déjà perdu sa liberté, et sa santé suscite régulièrement l’inquiétude.
Le premier ministre de son pays d’origine, Anthony Albanese, a bien résumé cette triste trajectoire en estimant que, quelle que soit l’opinion que l’on peut porter sur lui, l’acharnement dont il fait l’objet doit cesser. Le Parlement australien vient d’ailleurs d’adopter une motion demandant la fin de ces poursuites. Membre du club étroit des « Five Eyes », une alliance fondée sur une coopération en matière de renseignement qui rassemble quatre pays anglo-saxons autour des Etats-Unis, Canberra ne peut pourtant pas être suspecté de déloyauté envers Washington.
Julian Assange avait fait œuvre utile en mettant à nu les errements de « la guerre contre le terrorisme » américaine. Ces révélations ont certes été une épreuve pour les Etats-Unis, mais ces derniers doivent convenir aujourd’hui que l’histoire a tranché dans le sens du lanceur d’alerte. La justice devrait s’inspirer de ce verdict à l’instant de rendre le sien.