Si le blocage du régulateur britannique du rachat d’Activision-Blizzard met freine les plans de Microsoft, le géant logiciel n’a pas dit son dernier mot. Et entre la validation des autorités japonaises et sa capacité financière (et légale) à jouer le temps long, l’américain pourrait arriver à ses fins…
Microsoft a essuyé hier son premier coup d’arrêt dans sa tentative de rachat du champion des jeux vidéo Activision-Blizzard. Lancée l’an dernier, l’opération consiste en l’acquisition du géant américain pour 69 milliards de dollars. Une opération qui a suscité une opération de sabotage par Sony, inquiet de la puissance du titan américain Microsoft. Un Sony qui n’a pas manqué de tirer la sonnette d’alarmes auprès de toutes les autorités de la concurrence d’importance de la planète, dont la compétence est automatique dès lors que les deals de plusieurs milliards de dollars peuvent mettre en péril la bonne marche de la concurrence de différents marchés. Et avec sa division Windows (PC) et sa division Xbox, ainsi qu’avec ses différents studios – parfois rachetés à prix fort – Microsoft pourrait, selon Sony et désormais la Competition and Markets Authority (CMA) britannique, être « une menace pour la concurrence dans le secteur des jeux vidéo au Royaume-Uni ».
Outre l’appel que va nécessairement lancer Microsoft dans le pays – le président de Microsoft, Brad Smith a assuré que « l’entreprise est pleinement investie dans le rachat » – il faut aussi replacer la décision de l’autorité britannique dans le contexte politique actuel. Un contexte où les autorités du pays sont de plus en plus inquiètes de la prédominance (et de la prédation) des champions américains. Rien qu’en matière de semi-conducteurs, le Royaume-Uni est déjà un des responsables du capotage de la tentative de rachat de son champion ARM par Nvidia l’an dernier. Et la décision le mois dernier par Amazon de fermer Book Depository, une entreprise britannique rachetée par le géant en 2011, doit maintenir les autorités du pays plus suspicieuses qu’à l’époque.
Lire aussi : Rachat d’Activision Blizzard : l’UE transmet ses conditions à Microsoft (février 2023)
Si l’impact du Royaume-Uni, 6e puissance économique mondiale, aurait un impact important sur l’exercice financier de Microsoft (les jeux de l’entité seraient interdits de commercialisation sur place), le deal est encore jouable. Car outre l’appel, les mondes de la finance ainsi que celui des jeux vidéo attendent surtout les décisions des autorités américaines (FTC) et européennes (Commission Européenne). Deux corps qui ont déjà lancé des enquêtes et qui devraient se prononcer entre mai (US) et août (USA). Ce qui ne veut pas dire que le deal soit enterré – un échec qui coûterait 3 milliards à Microsoft au profit d’Activision-Blizzard. Car d’autres autorités ont déjà donné leur feu vert. Dont une qui est loin d’être neutre.
Le Japon a déjà dit oui et Microsoft a de la marge (et beaucoup de cash)
Les gouvernements défendent souvent (logiquement) leurs champions nationaux. Or, dans le cas de ce rachat, la puissante Japan Fair Trade Commission (JFTC), naturellement encline à protéger les intérêts de Sony, a déjà communiqué en mars dernier qu’elle ne s’opposerait pas au rachat. Lequel ne poserait, pour elle, aucun souci dans le domaine des consoles de jeu. Microsoft ayant en effet garanti que ses grosses licences comme Call of Duty seraient aussi disponibles sur les autres plateformes.
Lire aussi : Rachat de Blizzard/Activision : Microsoft veut donner des garanties à Sony pour boucler le deal à 69 milliards de dollars (novembre 2022)
Et le régulateur britannique est d’accord avec ce constat. Car c’est surtout autour du cloud gaming que les Britanniques – et à priori ses collègues européens et américains – se sont crispés. Parce qu’avec son xCloud, Microsoft dispose pour l’heure de l’offre la plus solide (serveurs, licences, image de marque, service à la Netflix). Et pourrait donc, avec les licences adéquates, verrouiller le marché une bonne fois pour toutes. Craignant une distorsion du marché naissant du jeu dans le cloud, ces autorités n’ont pas été convaincues par les arguments actuels de Microsoft. Ce qui ne semble pas insurmontable, puisque le géant américain a donc de la marge de manœuvre. Il peut ainsi, lors des procédures d’appel, réviser et pousser plus loin ses engagements de portage sur les autres plateformes. Et, fort de son cash, aller jusqu’au bout des procédures judiciaires en ne lâchant du lest qu’à partir du moment où il y est vraiment obligé.
Encore plus qu’avec l’affaire du rachat d’ARM par Nvidia, ce feuilleton économique a le potentiel de se prolonger pendant des mois au gré des (éventuelles) futures procédures d’appel. Mais une chose paraît certaine : Microsoft a ici bien le potentiel de remodeler le paysage vidéoludique en sa faveur. Et ce alors même que les technologies cloud (et les usages des consommateurs dans ce domaine) se consolident de plus en plus. Et que des appareils comme la future ROG Ally d’Asus pourraient donner un nouvel élan à Windows comme plateforme gaming mobile. Donnant dans les deux cas à Microsoft le pouvoir de s’en prendre réellement à Sony et Nintendo dans le domaine vidéoludique.
Source :
Wall Street Journal