Les ministres le martèlent depuis plusieurs mois : les sites pornographiques librement accessibles aux mineurs, c’est fini. Faute de mettre en place une vérification efficace de l’âge de leurs visiteurs, les plates-formes X seront bientôt bloquées en France, soit au terme d’une procédure judiciaire déjà engagée, dans laquelle une décision est attendue le 7 juillet, soit par le biais d’un blocage administratif prévu dans un nouveau projet de loi.
Sauf que la volonté politique, même à propos d’un important problème de société, comme l’est la facilité d’accès aux sites pornographiques, peut se heurter au mur du réel. Au Royaume-Uni, les gouvernements successifs, à partir de 2017, en ont fait l’expérience directe. En dépit d’un rare consensus politique pour mettre en place un blocage des sites pornographiques aux mineurs, le projet a enchaîné les retards durant quatre ans avant d’être finalement abandonné. Le Royaume-Uni a achoppé, comme l’Allemagne avant lui et, très probablement, la France après lui, sur un problème technique bloquant : repérer les internautes mineurs sans lever l’anonymat pour tous.
Car il n’existe pas vraiment de moyen simple et efficace de dissocier complètement l’âge et l’identité. Peu d’utilisateurs souhaiteraient fournir à un site pornographique une copie de leur passeport ou de leur carte bancaire – ce dernier point a longtemps été une difficulté importante pour les sites pornographiques sur abonnement, même ceux ayant pignon sur rue. Seule solution : une procédure de « double anonymat », faisant intervenir un « tiers de confiance », qui vérifie qu’une personne est bien majeure, et transmet cette information au site pornographique, avec un code par exemple, sans lui donner l’identité de l’internaute.
Filtrage contournable
Au Royaume-Uni, une demi-douzaine de solutions de ce type ont été envisagées. L’un des projets prévoyait la vente de « codes d’accès » prouvant votre majorité dans les bureaux de tabac, ou encore une application scannant votre visage pour déterminer si vous êtes mineur ou majeur. Un des outils les plus aboutis était même édité par… MindGeek, la holding qui contrôle certains des plus importants sites gratuits de pornographie.
« De l’analyse effectuée des différentes méthodes de vérification existantes, il ressort qu’aucune n’est à la fois performante, totalement transparente pour l’utilisateur, peu intrusive et accessible à tous, bien que certaines paraissent meilleures », notait en 2022 le propre pôle d’expertise numérique du gouvernement français, dans un rapport très complet sur ces outils, qui suggérait de développer un nouveau prototype conçu en partenariat avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et Polytechnique. Le gouvernement n’a visiblement pas souhaité écouter ses propres experts : un an plus tard, le projet est au point mort.
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