Nintendo peut-il vraiment désactiver votre Switch 2 à distance ?

Nintendo peut-il vraiment désactiver votre Switch 2 à distance ?


Nintendo a-t-il le droit de bloquer votre Switch si vous utilisez des jeux piratés ? Alors que la Switch 2 sera commercialisée dans moins de vingt-quatre heures en France, nous avons voulu revenir sur cette affaire qui a fait couler de l’encre aux États-Unis. Mi-mai, la presse américaine faisait état d’une modification du contrat d’utilisateur de l’entreprise japonaise : cette dernière se réserve désormais le droit, pour ses clients américains, de « briquer la console », de la rendre complètement inopérable, en cas d’utilisation non conforme. De quoi mettre vent debout ses utilisateurs, adeptes de mille et une « bidouilles », à savoir : des jeux piratés, des applications indisponibles sur l’eShop, des systèmes d’exploitation alternatifs.

Dès la sortie de la première Switch, des gamers ont trouvé une faille dans l’architecture de la console qui leur permet, entre autres, de jouer à des jeux Nintendo (piratés) sans avoir à les payer. Depuis, le géant nippon tente, tant bien que mal, de colmater la brèche. Et la dernière mesure, prise en mai dernier, s’inscrit dans cette volonté : Nintendo a durci les conditions d’utilisation de ses consoles et services en ligne, aux États-Unis, allant jusqu’à prévoir — et c’est une première — de désactiver à distance ses appareils.

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Côté français, le contrat qui couvre votre utilisation des services proposés par Nintendo — une sorte de conditions générales d’utilisation — n’est pas aussi catégorique. Il stipule bien que le joueur doit se conformer au « code de conduite Nintendo ». Ce texte précise que « toute utilisation ou exécution de copies non autorisées de jeux, applications, logiciels » comme « toute utilisation de tricheurs (cheats), de logiciels automatisés (robots), d’outils de piratage (hacks), de mods ou de tout autre appareil ou logiciel non autorisé (…) » sont interdites.

Que se passe-t-il si vous ne respectez pas à la lettre ces conditions — ce qui est le cas lorsqu’on utilise des jeux piratés ? Nintendo « peut à tout moment résilier le présent contrat ou toute partie de celui-ci sans préavis ». Comprenez : tous les services en ligne proposés par Nintendo pourraient être coupés. Adieu donc les jeux en réseau, mais pas les jeux en solo : le joueur pourra continuer à utiliser sa console, mais hors ligne, contrairement à l’utilisateur américain. Pourquoi cette différence de traitement entre les deux pays ?

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D’abord « inonder le marché », et ensuite éventuellement contrôler avec plus de sévérité

Si la désactivation n’est pas (encore) prévue dans les contrats français, c’est d’abord pour des raisons de « stratégie d’entreprise », nous explique Eric Barbry, avocat IT et Data au sein du cabinet Racine. Un fabricant d’appareils connectés comme des consoles peut se dire : « OK, je sais qu’il y a des comportements anormaux, comme des usages de contenus illicites (piratés NDLR). Mais je ferme les yeux, parce que ma priorité, c’est de vendre mon matériel, et d’inonder le marché avec mes produits ». Donc dans un premier temps, « vous n’allez pas commencer à briquer votre appareil ».

D’autant que juridiquement, on peut se demander si « ce n’est pas risqué de désactiver l’appareil, de faire quelque chose d’intrusif. Bloquer un accès, une box ou une console pourrait avoir pour conséquence de démontrer à un juge que je suis en état de contrôler ce qui se passe avec mon matériel. Et donc le fait de pas le faire (de ne pas exercer ce contrôle) pourrait engager ma responsabilité », souligne Me Barbry.

Cette question est en fait sur la table depuis des années : le débat a eu lieu « au tout début d’Internet avec les sites Web et les plateformes de vente comme eBay. Pour ces derniers, la question était : faut-il contrôler et donc démontrer que ces plateformes sont capables de le faire, avec le risque de voir leur responsabilité engagée quand ils ne le font pas, ou quand ils le font mal ? », poursuit le spécialiste. 

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Pour toutes ces raisons, « de nombreux acteurs ont hésité, pendant longtemps, à mettre en place de réelles mesures coercitives de contrôle — voire de blocage ». On le voit avec Netflix et le partage des comptes un temps toléré, Google « qui a mis très longtemps à faire la police », et qui « le fait de temps en temps seulement, comme lorsque vous vous rendez compte que tel site est inaccessible, parce qu’il était contraire à un certain nombre de règles. C’est la même chose pour les réseaux sociaux aujourd’hui », souligne l’avocat associé au cabinet Racine. Mais ce contrôle n’est pas systématique : « Ils ne le font pas tout le temps, mais ils s’octroient effectivement la possibilité de supprimer tel contenu illicite ».

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Initialement, la priorité des fabricants d’appareils connectés comme des consoles a donc été de vendre leurs produits, quitte à être laxistes. « Ensuite, la question qui s’est posée, c’est, OK, maintenant, on a bien vendu notre appareil, on a des millions d’abonnés ou des millions d’utilisateurs, que doit-on faire ? Doit-on réguler ou pas, contrôler ou pas, désactiver ou pas en cas d’utilisation non conforme ? En sachant que si on ne régule pas, on risque de se faire taper sur les doigts, parce qu’on ne régule pas. Et si on régule, on risque de se faire taper sur les doigts, parce que notre responsabilité pourrait être engagée », développe Me Barbry.

Désactiver la Switch, une violation du droit de propriété ?

À côté de ce « risque » juridique, Nintendo aurait-il dans l’absolu le droit de désactiver à distance votre Switch en France ? Pour répondre à cette question, « il faut distinguer : il y a d’abord l’accès à un service en ligne. Quand je suis utilisateur de Nintendo et que je joue par exemple avec d’autres gens en ligne, je suis sur un service qui ne m’appartient pas. On m’autorise à l’utiliser, mais à certaines conditions. Donc si vous ne respectez pas les règles du jeu, vous risquez de sortir du jeu », souligne Me Barbry.

Et à priori, « en France ou en Europe, exclure des gens d’un environnement (d’un service en ligne) parce qu’ils ne respectent pas les règles du jeu, cela ne me paraît pas anormal ».

Mais là où les choses sont moins tranchées, c’est « lorsque vous désactivez un matériel, parce qu’en fait ce matériel, la personne l’a acheté. Vous êtes propriétaire de ce matériel, et on vous empêche de l’utiliser. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un objet connecté, il y a une partie connectique et une partie réseau qui effectivement échappent à l’utilisateur ».

De quoi permettre au fabricant de désactiver à distance l’appareil ? « Encore faut-il que ce soit clair dans les contrats », estime Eric Barbry. « Lorsque vous achetez une Switch, il y a en fait trois éléments : la composante matérielle, les usages en ligne, et la partie software et connexion au reste du monde. Et ça, ce n’est pas à vous. On vous le met à disposition parce que vous avez acheté la Switch, mais vous le payez dans le cadre d’un service. Et si à ce moment-là, les contrats sont écrits de cette manière-là, en disant, “si vous ne respectez pas les règles du jeu, je vais effectivement désactiver votre console à distance“, à ce moment-là, ça ne sera pas une violation de votre droit de propriété puisque je vous aurais prévenu. Et en plus, je vous aurais prévenu que vous n’achetez qu’une partie du matériel ».

Un fabricant comme Nintendo pourrait alors, en théorie, briquer ses appareils connectés en cas d’utilisation non conforme. « Sur un plan juridique, ça pourrait tenir la route, mais avec une grosse ingénierie juridique et une très grosse information du client », insiste Me Barbry.

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Comprenez : une telle désactivation serait donc possible, mais pas en l’état actuel des choses. Nintendo n’a pas (encore) inséré, pour la France, ce type de disposition dans ses conditions générales d’utilisation — le fameux contrat utilisateur. Mais l’entreprise nippone, qui vient de rendre cette désactivation possible aux États-Unis, pourrait étendre, à terme, la mesure aux utilisateurs du Vieux continent.

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