Trois ans après le raz-de-marée ChatGPT, l’heure des comptes a sonné. Si le sociologue Dominique Boullier redoute que l’IA ne finisse par « vous rendre plus bête », une étude inédite du MIT nuance le propos : notre cerveau ne décline pas, il change radicalement de stratégie.
Cela fait déjà trois ans. Trois ans que ChatGPT s’est invité dans nos poches et nos bureaux, bouleversant nos habitudes avec une facilité déconcertante. Aujourd’hui, l’outil d’OpenAI revendique plus de 800 millions d’utilisateurs hebdomadaires. Un succès fulgurant qui cache une réalité complexe sur notre rapport à la connaissance.
Dominique Boullier, sociologue spécialiste des technologies cognitives et professeur à Sciences Po, tire la sonnette d’alarme dans une interview accordée au Parisien. Pour l’auteur de Déshumanités numériques, le risque est clair : à force de déléguer, l’usage excessif des robots conversationnels pourrait entraîner « une baisse des capacités cognitives ». Mais qu’en dit la science dure ?
Le piège de l’ami qui vous veut (trop) du bien
Avant de parler neurones, parlons psychologie. Pourquoi sommes-nous si nombreux à ne plus pouvoir nous passer de ce chatbot ? Pour Dominique Boullier, c’est l’accessibilité qui change la donne : plus besoin de coder, on parle à la machine comme à un proche.
Le danger réside dans cette « connexion affective ». ChatGPT est disponible H24, il ne juge pas, il flatte. Dans une vraie relation humaine, la contradiction existe et forge le caractère. Ici, l’IA lisse tout. Cette empathie artificielle crée une zone de confort où la méfiance s’évapore. On finit par personnaliser l’outil, le considérant comme un compagnon fiable. Une confiance aveugle qui prépare le terrain à ce que les chercheurs appellent la « dette cognitive ».
Ce que révèle l’étude du MIT (sans tabou ni fantasme)
Pour dépasser le simple avis d’expert, l’équipe du MIT Media Lab a mené une expérience sur 54 participants équipés de casques EEG (électroencéphalographie). Ils ont comparé trois méthodes de rédaction : cerveau seul, moteur de recherche, et ChatGPT.
Les résultats de cette étude préliminaire montrent une réalité nuancée, mais frappante : le cerveau passe en mode « éco » lorsqu’il fait appel à l’agent conversationnel de manière excessive. En effet, les utilisateurs de ChatGPT affichent la connectivité neuronale la plus faible. Contrairement au groupe « moteur de recherche » qui garde une activité modérée (tri, sélection), le groupe ChatGPT laisse l’outil faire le gros du travail.
Le plus inquiétant n’est pas la baisse d’activité pendant l’exercice, mais après. Les utilisateurs de l’IA peinaient à se souvenir de ce qu’ils avaient écrit et ressentaient une très faible propriété sur leur texte. On en revient alors à ce concept clé de « dette cognitive ». En ne sollicitant pas ses neurones, on contracte une dette. Lors de la quatrième session, quand les habitués de ChatGPT ont dû rédiger seuls, ils ont montré des difficultés à réactiver certains circuits neuronaux essentiels.
Non, vous n’avez pas le cerveau qui fond
C’est ici qu’il faut être précis pour ne pas tomber dans le sensationnalisme. Les chercheurs du MIT insistent lourdement dans leur FAQ : l’utilisation de l’IA ne cause pas de « dommages cérébraux » et ne rend pas « stupide ». Utiliser ces termes serait un contresens scientifique.
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Il s’agit plutôt d’un changement de stratégie. Le cerveau est un organe qui cherche l’efficacité énergétique. Si un outil fait le travail, le cerveau se désengage. Le risque n’est pas la bêtise, mais la perte d’entraînement. C’est exactement la comparaison que fait Dominique Boullier avec le GPS : « Si vous n’utilisez que le GPS en permanence, vous perdez le sens de l’orientation ». Vous n’êtes pas devenu incapable, vous êtes désentraîné.
Il est urgent de poser des limites
Face à ce constat, faut-il tout débrancher ? Pas nécessairement. Le groupe « moteur de recherche » de l’étude montre qu’on peut utiliser la technologie tout en gardant le cerveau actif.
Une hygiène numérique s’impose donc. Dominique Boullier préconise l’autodiscipline en se fixant une limite, comme « y passer maximum une heure par jour » ou de soumettre « 3 ou 4 requêtes » seulement à ChatGPT.
Cependant, la responsabilité individuelle ne suffit pas. Le sociologue rappelle que « le gouvernement doit jouer son rôle », notamment pour des raisons de santé mentale. Car si l’étude du MIT refuse de parler de déclin irréversible, elle souligne tout de même que sur quatre mois, le groupe sans IA a surpassé les autres sur le plan neuronal et linguistique.
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