Peu de chance que vous ayez déjà utilisé une manivelle pour interagir avec un jeu vidéo, sauf, à la rigueur, si vous vous êtes essayé à l’une de ces simulations de pêche proposant des manettes dotées de moulinets. L’éditeur américain Panic (Firewatch, Untitled Goose Game) parie pourtant sur cet appendice en forme de coude en l’implantant sur sa première console, la Playdate.
Mettre la main sur ce petit carré jaune a été plus difficile que prévu. En raison de la pandémie de Covid-19 et des pénuries de composants, la console, initialement annoncée pour 2020, n’est finalement disponible qu’au mois d’avril 2022 – et encore, à condition de l’avoir commandée dès le mois de juillet 2021.
Gros pixels et musique 8-bit
La Playdate a de quoi séduire les amateurs de design. Elle se révèle robuste et compacte. Son épaisseur est quasi la même que celle d’un smartphone, et sa surface est comparable à quatre carrés d’une grosse tablette de chocolat aux noisettes. La manivelle fixée sur son flanc droit (tant pis pour les gauchers) peut être déployée ou rétractée grâce à une articulation assez souple.
Avec sa couleur jaune canari, la console de poche est tape-à-l’œil. Cela contrebalance joyeusement les nuances de noir et de gris de l’écran. L’absence de couleurs est un choix esthétique : cette console portable de nouvelle génération tente de renouer avec l’esprit des dinosaures du jeu vidéo que sont les jeux électroniques au format calculatrice (comme les Game & Watch de Nintendo).
Sa résolution et, donc, la finesse de ses graphismes ont beau être, en réalité, quatre fois supérieures à celles de l’antique Game Boy, l’esthétique monochrome ainsi que les musiques et effets sonores 8-bits ont de grandes chances de susciter des bouffées de nostalgie chez les utilisateurs nés dans les années 1980.
Une machine connectée
Ne cherchez pas l’encoche où mettre des cartouches dans la machine, il n’y en a pas. La Playdate a peut-être un pied dans les années 1990, mais l’autre est bien ancré dans les années 2020. Une connexion Wi-Fi lui permet d’alimenter automatiquement son catalogue au rythme de deux jeux gratuits par semaine, que l’on « déballe » tels de petits cadeaux virtuels lorsqu’ils sont téléchargés automatiquement. Au total, la Playdate proposera vingt-quatre jeux au terme de ce que son éditeur appelle sa « première saison » – laissant entendre qu’il devrait y en avoir d’autres.
Le premier titre testé est Whitewater Wipeout, dans lequel la manivelle permet de faire pivoter la planche d’un surfeur sur une immense vague. Le but est de réussir une série de sauts acrobatiques pour marquer des points. Ce titre au maniement très intuitif donne le ton des meilleurs jeux de la console : simples à prendre en main, mais difficiles à maîtriser. Le deuxième titre est tout aussi charmant mais un peu bavard : le jeu photographique Casual Birder nous déçoit un peu, car il peine à dépasser l’hommage aux jeux de rôle des années 1990.
Les premiers jours, pourtant, telle la manivelle de la Playdate, nous avons un peu eu l’impression de tourner en rond : il faudra attendre quatre semaines, et donc huit jeux, pour voir s’installer une belle variété. Une variété à laquelle la Playdate pourra prétendre plus rapidement si on décide de télécharger d’autres jeux, en plus de ceux de cette première « saison », grâce au câble USB : deux outils de développement ont été mis à disposition gratuitement par Panic au début d’avril.
Mouliner pour gagner
Après avoir testé une quinzaine de jeux, le bilan provisoire de la ludothèque est plutôt positif. Seuls trois ou quatre titres se sont montrés vraiment décevants, tandis qu’une poignée de concepts avaient des airs de déjà-vu sans pour autant se montrer déplaisants, à l’image du bien nommé Executive Golf ou du jeu d’arcade Hyper Meteor.
Les souvenirs les plus mémorables sont associés au geste de mouliner, soit de façon frénétique, soit à un rythme chaloupé. Nous avons même souvent été tentés de jouer en chantant « Et moi pendant ce temps-là, je tournais la manivelle » du groupe Wazoo.
Le surf de Whitewater Wipeout, inspiré par un des mini-jeux de California Games (1987), est hypnotisant. Nous avons aussi frôlé l’entorse du poignet avec Flipper Lifter, dans lequel il faut actionner un ascenseur qui transporte des pingouins impatients. L’ingénieux Omaze nous a aussi offert de beaux casse-têtes à base de cylindres.
Le jeu de course d’obstacles Time Travel Adventure propose aussi une trouvaille ingénieuse : la manivelle permet d’y avancer ou reculer le cours du temps. Voilà qui nous évoque les plus anciennes caméras qui s’actionnaient en faisant un geste similaire.
Mais le petit appendice en métal ne fait pas tout. Certains créateurs ne l’utilisent que de façon (trop ?) parcimonieuse, comme Bennett Foddy, le créateur de Getting Over It et QWOP. Dans Zipper, la croix directionnelle et les boutons A et B font office de commandes principales. La manivelle sert uniquement à anticiper les déplacements des ennemis dans un jeu qui propose de sanglantes confrontations dans un palais du Japon médiéval.
Faire aimer le jeu vidéo aux plus réticents
Pour le moment, cette console portable s’est révélée très réjouissante pour des parties brèves et intenses. Si l’on prend pour point de comparaison la bien-aimée Game Boy, les expériences que nous avons préférées dans la première fournée se situent plus dans le sillon de Tetris que dans celui de l’histoire épique de The Legend of Zelda : Link’s Awakening. Elle se situe aux antipodes des machines portables sorties au cours des derniers mois, qu’il s’agisse de la Steam Deck de Valve, mini-PC au catalogue pléthorique, ou de la Switch OLED, version luxueuse de la célèbre console de Nintendo.
Avec sa prise en main immédiate et ses contenus ingénieux, le petit carré jaune se montre même parfait pour initier aux jeux vidéo le public qui se montre le plus réticent à la complexité des nouveautés sur console et PC. La Playdate est ainsi idéale pour défier un vieil oncle, ses parents ou un enfant.
Mais pour l’heure, paradoxalement, seuls pourront y jouer les joueurs les plus avertis – ceux qui auront réussi à commander un des rares premiers exemplaires mis en vente en juillet 2021 – et ceux qui sont prêts à dépenser pour ça 200 € (auquel il faut rajouter 25 € de frais de port et un étui optionnel à 20 €), soit le prix de certaines consoles « classiques » infiniment plus puissantes.
Ces joueurs experts seront heureux de savourer cette console portable pas comme les autres et ses petits jeux aux concepts inédits. Pour les autres, il faudra désormais attendre l’année prochaine pour se procurer ce bel objet qui fait entrer la manivelle dans l’histoire du jeu vidéo.
L’avis de Pixels :
On a aimé :
- tourner dans un sens ou dans l’autre la manivelle pour manipuler des engins, des personnages ou des objets ;
- une console toute mignonne qu’on emporte partout ;
- l’originalité de la ludothèque.
On a moins aimé :
- avec les frais de port, cette console expédiée depuis les Etats-Unis est plus chère que certains modèles de Nintendo Switch ;
- certains titres trop bavards ;
- tout est en anglais ;
- être un peu frustré, au départ, par la lenteur de publication des jeux.
C’est plutôt pour vous si :
- vous aimez les parties rapides et intenses ;
- vous êtes à la recherche de concepts inédits ;
- vous êtes un nostalgique invétéré.
Ce n’est plutôt pas pour vous si :
- vous n’aimez pas les jeux en 2D ;
- encore moins ceux qui sont en noir et blanc ;
- vous êtes gaucher ;
- vous souffrez d’une entorse du poignet droit.
La note Pixels :
400 pixels/240