Le chimiste français Arkema qui travaille avec « tous les fabricants de batteries du monde » inaugurait cette semaine un nouveau laboratoire de recherche et développement en Normandie. Reportage au sein de ce lieu dédié à un nouveau processus de fabrication qui pourrait révolutionner l’automobile électrique.
Hublots, gants en latex noir, pistolet à propulsion, petits rouleaux compresseurs, tuyaux en tout genre… C’est une machine étrange qui ne ressemble à aucune autre, et dont le nom, « calandrage », ne vous évoquera rien. C’était pourtant, le lundi 29 septembre 2025, l’une des deux stars du jour du géant de la chimie Arkema : de ses entrailles sortiront peut-être des « électrodes sans solvants », des composants essentiels de ce qui pourrait devenir la batterie électrique du futur.
C’est toute l’ambition d’Arkema, qui investit chaque année « plus de 270 millions d’euros en R&D » et dépose près de « 200 brevets par an ». Le chimiste français inaugurait cette semaine en Normandie, à Serquigny (Eure), son tout nouveau laboratoire du Certado, un de ses 17 centres de recherche et développement (R&D). Peu connue du grand public, cette société, créée en 2006, fournit des composants à la majorité des fabricants du monde de batteries électriques, qu’ils soient chinois (BYD) ou coréens (Samsung).
« Aujourd’hui, plus de 10 millions de véhicules électriques contiennent des matériaux Arkema » comme des liants, des polymères ou des adhésifs. « Et l’objectif, c’est qu’on puisse accompagner nos clients sur leur génération actuelle vers les futures générations », avance Samuel Devisme, un des directeurs R&D du chimiste de spécialité.
Les électrodes représentent environ « 25 % du coût total d’un pack batterie »
Le futur, c’est exactement à quoi s’attèlent les ingénieurs du laboratoire inauguré ce jour-là, mais qui fonctionne de fait depuis fin 2024. À l’intérieur, un long paravent cachait une bonne partie des 100 m² du reste du Certado où travaillent près de 250 ingénieurs – confidentialité oblige. Mais les deux machines-stars du jour étaient bien visibles, dans deux petites salles. Et bien que la centaine de personnes présentes se soient munies de lunettes de sécurité et de blouse, les deux équipements étaient à l’arrêt. « La chaleur, le bruit, la sécurité… impossible de la faire fonctionner, avec tous ces visiteurs », nous indique laconiquement un employé qui veille au bon déroulé de la visite. De ces machines pourraient émerger « des solutions de batteries plus durables, plus efficaces et plus compétitives », s’enthousiasme la directrice du centre, Anne Christmann.

Et pour le comprendre, il faut savoir qu’actuellement, le secteur de la batterie (électrique) peut être révolutionné de deux manières : à travers le design de la batterie, et à travers la fabrication de l’électrode, schématise Samuel Devisme, qui dirige la R&D pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Le nouveau laboratoire du Certado travaille justement sur ce dernier point. Le géant de la chimie français cherche à mettre en place un procédé de fabrication par voie sèche des électrodes – des composants qui représentent environ « 25 % du coût total d’un pack batterie », précise Stéfaniya Kancheva, responsable du développement commercial des batteries chez Arkema. Une cellule de batterie est composée de plusieurs éléments, dont deux électrodes : l’anode et la cathode. Une batterie produit de l’énergie (et donc se décharge) lorsque les ions lithium passent de l’anode à la cathode.

La promesse : moins de pollution, plus de sécurité et d’autonomie de la batterie
Or aujourd’hui, « la manière de fabriquer les électrodes est assez énergivore parce qu’on utilise des solvants » liquides et toxiques, ce qui implique des enjeux environnementaux non négligeables. Les solvants nécessitent par exemple une étape de séchage, avec des fours qui peuvent s’étendre sur une centaine de m2, expose Stéfaniya Kancheva.
Or, pour éviter d’utiliser ces solvants liquides, l’idée serait de mettre en place un processus de fabrication sans liquide ou « dry process », un procédé en cours de développement et un Graal que chercherait à atteindre une partie du secteur, et sur lequel planche le tout nouveau laboratoire d’Arkema.
Avoir un processus sans liquide a plusieurs avantages : non seulement cela permettrait de « réduire l’énergie et l’empreinte environnementale, ainsi que l’espace dans les usines », délestée de l’étape des fours – un élément déterminant pour les futures gigafactories. Mais selon Lauréline Marchal, R&D platform leader nouvelles technologies et batteries chez Arkema, cela permet surtout d’augmenter la sécurité, en évitant d’avoir dans les batteries des liquides qui sont inflammables quand la température monte.
Avec des électrodes solides, on pourrait aussi « compacter un peu plus la batterie en utilisant les mêmes matériaux, et donc augmenter ce qu’on appelle la densité d’énergie. Or en augmentant la quantité d’énergie que je peux stocker dans ces cellules-là, j’augmente l’autonomie » de la batterie entière, poursuit l’experte en batteries. De quoi atteindre « le rêve de tout le monde, qui est de voir la batterie électrique s’approcher du kilométrage d’un moteur thermique », ajoute Samuel Devisme, un des directeurs R&D d’Arkema.
Ne pas rater la prochaine vague
Et pour atteindre ce Graal, il faut trouver le bon process : c’est tout l’objet des deux technologies testées actuellement et matérialisées par les deux machines qui nous étaient présentées lundi. Dans la première salle, on pouvait approcher la fameuse machine de « calandrage direct sur des couches d’électrodes uniformes ». Dans cette étrange cabine téléphérique aux hublots du Certado, l’électrode serait fabriquée à partir d’un mélange de poudre dont Arkema a le secret. Le tout va ensuite passer à travers des rouleaux pour y être calandré (broyé et lissé), avant de finir sur un collecteur de courant métallique.

Dans l’autre salle, une autre machine teste « la déposition électrostatique ». L’idée est de déposer de la poudre cette fois via un spray sur le collecteur de courant qui sera, lui aussi, calandré. A l’intérieur de l’équipement, on pouvait en effet observer une sorte de pistolet.

Reste désormais à trouver le bon dosage et la bonne vitesse à chaque étape du process. Car si certaines idées sont bonnes sur le papier, l’objectif, c’est justement d’avoir à disposition des bancs d’essai pour tester les nouveaux procédés, et « les tester avec nos clients », insistent plusieurs membres de l’équipe dédiée aux batteries d’Arkema. Certains clients du chimiste français étaient justement présents ce jour-là, à l’image des fabricants français Verkor et Tiamat. Car si aucune de ces technologies du dry process n’est pour l’instant mature, les industriels de la batterie électrique, qu’ils se situent en amont ou en aval de la chaîne, ont tous le même objectif : surtout, ne pas rater la prochaine vague.
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