Depuis deux ans, le Silicon Design Center de Munich est au coeur de la stratégie industrielle d’Apple. Quelle est la particularité de ce centre d’ingénierie européen ? Comment a-t-il contribué à la puce M3 des derniers MacBook Pro. Pour le savoir, nous sommes allés sur place.
« Designed in California, Assembled in China ». À en croire la célèbre formule que l’on retrouve sur les dos de la plupart des produits Apple, les iPhone, MacBook et autres Watch seraient imaginés à Cupertino avant d’être produits de l’autre côté du Pacifique, dans ce qui se trouve être également l’usine du monde, la Chine. De fait, les observateurs les plus avisés de la marque à la Pomme savent bien que lorsque Apple évoque une nouvelle puce révolutionnaire de 3 nm, celle-ci est en réalité fabriquée par TSMC et que lorsqu’on souligne la qualité d’assemblage d’un iPhone 15 Pro Max en titane, c’est le savoir-faire de Foxconn qui est salué.
Ce que l’on sait moins en revanche, c’est que la route qui mène de Cupertino à Shenzen n’est pas directe. Parfois, dans le cadre de certains produits ou composants, il y a quelques détours. C’est le cas, par exemple, de la puce M3, la pièce maîtresse des nouveaux MacBook Pro et de l’iMac 24 (2023). En apparence, celle-ci est l’oeuvre conjointe de Doug Brooks et de ses équipes à Cupertino d’une part et du fondeur TSMC d’autre part. Mais dans les faits, entre la Californie et la Chine, le processus de conception de la puce M3 fait escale… en Allemagne et plus précisément à Munich.
En effet, depuis quelques années, Apple a ouvert un important centre de recherche de l’autre côte du Rhin, le Silicon Design Center. Quelques jours après l’annonce des puces M3 et nos tests des machines qui les embarquent, nous avons voulu savoir en quoi la partie européenne avait contribué au design du nouveau SoC (System on Chip) de référence de la marque. De manière plus globale, la présence européenne d’Apple interroge. Voilà donc deux occasions pour prendre la route de la Bavière et découvrir le Silicon Design Center d’Apple à Munich.
Un hub d’ingénieurs Apple au centre de l’Europe
Bien entendu, on n’entre pas dans un centre de recherche d’Apple sans avoir à observer quelques règles, parmi lesquels un engagement à ne prendre aucune photo lors de notre visite. En conséquence, les illustrations de cet article ont été fournies par la marque, ce qui ne les empêche pas de représenter de manière assez juste ce que nous avons pu observer sur place. Avant d’aller plus avant et de comprendre le rôle du Silicon Design Center de Munich dans l’élaboration de la puce M3, il convient de revenir sur la genèse de ce projet plutôt atypique de la part d’une entreprise très centrée sur la Californie.
Le projet de développer un centre européen de recherche démarre en 2015, sous la houlette, entre autres, d’un ingénieur français, Gregoire Le Grand de Mercey, autour duquel va se construire l’équipe initiale à Munich. Celui-ci, transfuge de Cupertino est toujours, huit ans plus, tard, à la tête de la division Hardware bavaroise. Les intentions d’Apple sont officialisées six ans plus tard, en 2021 lorsque la marque à la Pomme inaugure le Silicon Design Center et que celui-ci est dévoilé au monde. À ce moment précis, Apple annonce vouloir faire de Munich son centre de développement européen du silicium avec un investissement initial d’un milliard d’euros.
Aujourd’hui, ce Design Center n’est pas concentré sur un seul lieu. Il s’agit d’une structure assez importante qui est répartie sur quatre bâtiments situés entre la Karlstrasse et la Marsstrasse, du côté ouest de Munich. Un cinquième bâtiment, non loin de là, devrait être inauguré très prochainement, signe que le projet d’implantation en Allemagne se poursuit. Cette décision intervient après un second investissement d’un milliard d’euros dans le Silicon Design Center annoncé en mars 2023.
D’une poignée de collaborateurs travaillant dans le secret, l’entité bavaroise de Munich est passée en quelques années à plus de 2 000 ingénieurs répartis entre les quatre sites. Notre visite s’est concentrée sur le bâtiment principal, au 77 Karlstrasse. De l’extérieur, rien ne laisse penser qu’il s’agit d’un centre de recherche et encore moins qu’Apple est à la manoeuvre. D’ailleurs, il est inutile de chercher le moindre logo de la marque, y compris à l’accueil. Ces locaux qui pourraient être ceux de n’importe quelle banque allemande en apparence cachent particulièrement bien ce qui se passe derrière les larges façades vitrées du bâtiment ou l’enfilade de couloirs qui permet de passer d’un côté à l’autre de ce grand cube doté d’une cour intérieure. Bien entendu, l’environnement est particulièrement sécurisé. On n’entre pas dans le saint des saints de la recherche d’Apple en Europe sans y avoir été invité et sans montrer patte blanche à chaque passage de porte ou d’ascenseur. En somme, rien de plus normal lorsqu’on travaille sur le développement de l’un des composants les plus spectaculaires de l’année, la fameuse puce M3 et ses dérivés, M3 Pro et M3 Max.
Quel est le rôle de l’Europe dans la conception de la puce M3 ?
En effet, le rôle du Silicon Design Center est tout sauf anodin dans la conception de la nouvelle puce qui équipe les MacBook Pro et l’iMac. Le « plus grand centre d’ingénierie » d’Apple en Europe a eu deux missions précises dans la conception du nouveau SoC. La première concerne le « power management » de la puce, autrement dit la gestion de l’alimentation des différents micro composants ainsi que ce qui a trait à la consommation d’énergie, soit une donnée essentielle des puces maisons depuis le passage d’Apple à son SoC ARM maison, autrement dit, depuis la puce M1.
Or si le Silicon Design Center n’a pas été impliqué directement dans l’élaboration de cette première puce Apple Silicon, il a été, depuis, largement intégré au projet au point d’être à l’oeuvre sur cette partie « power management » dans les puces M3. L’autre volet sur lequel les équipes allemandes sont en première ligne, c’est la partie connectivité de la puce qui leur serait entièrement dévolue.
Les ambitions européennes d’Apple
Indéniablement et de manière plutôt surprenante, l’Europe a pris une part considérable dans la R&D d’Apple. Même si son rôle est crucial dans la conception de la puce M3, le Silicon Design Center intervient également dans l’élaboration d’autres produits de la marque, à commencer par les iPhone, les iPad ou les Watch dont les puces sont un aspect essentiel du projet Apple Silicon.
Entre Cupertino et la Chine, Munich est aujourd’hui une étape essentielle du circuit de production des puces Apple Silicon. Le Design Center allemand, fruit de cette volonté, est devenu le plus grand centre d’ingénierie d’Apple sur le Vieux continent, ce qui a également amené la marque à la Pomme à accroitre ses investissements en Europe. Ainsi, Apple travaillerait avec plus de 4 000 fournisseurs européens et aurait totalisé plus de 85 milliards d’euros de dépenses auprès de ces prestataires. Certes, les subsides européens pour attirer sur le Continent des fabricants de micro-processeurs ne sont sans doute pas étrangers à cette passion relativement récente d’Apple pour l’Europe, mais il n’en demeure pas moins que Cupertino a su intégrer complètement la partie bavaroise dans le développement de ses puces.
Reste alors la question du choix de Munich. Pourquoi et comment la « capitale » de la Bavière a-t-elle été choisie ? Le dynamisme de la Bavière, siège d’industriels renommés tels que Siemens ou BMW en font assurément une place forte de l’innovation technologique. Ses universités réputées et la formation reconnue de ses ingénieurs allemands ont sans doute aussi pesé dans le choix d’Apple de se tourner vers l’Allemagne. Mais après Tesla qui a opté pour Berlin au détriment de la France pour sa Gigafactory, il est permis de s’interroger sur le potentiel de séduction de l’Hexagone. Les pôles de compétences en nouvelle technologie n’y manquent pas, tout comme les filières de formation, pourtant et alors même qu’un des décideurs était français, c’est de l’autre côté du Rhin que s’est porté le regard d’Apple.