Alors que s’est tenu à Paris en grande pompe le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA), sans aucune invitation officielle pour les grandes organisations de cinéastes, alors que la course mondiale à l’IA tente de faire croire que l’urgence doit servir de boussole intellectuelle, nous cinéastes, posons-nous une minute, et réfléchissons.
Sur le plan économique, l’IA dans le cinéma représente un pillage à une échelle industrielle inédite. Nos films servent de donnée d’entraînement pour les IA génératives, sont collectés en toute illégalité, digérés et recrachés sans aucune autorisation ni rémunération des droits d’auteur. Derrière le prochain blockbuster de 2025, il y aura peut-être le travail pompé de centaines de cinéastes dans la dèche. On pique le travail d’une vie en toute opacité, sans autorisation et sans compensation. On n’est pas loin de la délinquance.
On nous promet « gains de productivité » pour notre métier, au prix bien sûr de la suppression de métiers devenus inutiles. Pour nous qui aimons faire travailler les techniciens de cinéma, pour nous qui aimons l’idée d’une équipe humaine dévouée affectivement à un film, la suppression d’emplois ne peut pas être une bonne nouvelle.
On essaie de nous faire croire qu’avec ces supposés gains de productivité, il y aura plus de films et mieux produits – l’argent ainsi « économisé » se réinvestirait ailleurs. Arnaque. Il n’y aura pas plus de films, pas plus d’argent pour les fabriquer, juste des transferts sauvages de compétences, des emplois sacrifiés et un monde où la sous-traitance technique ne parachève plus une œuvre, mais au contraire l’initie : l’exécution (des ordres, des tâches) va devenir le maître mot. Un film sera « exécuté », et non plus créé.
Dépersonnalisation de l’œuvre et de l’auteur
Intéressons-nous à l’arrivée de l’IA dans l’écriture scénaristique. J’ai essayé, j’ai été effarée : à la fois par l’efficacité du travail et par sa profonde vacuité. Oui, ChatGPT, avec seulement quelques prompts [instructions], me fournit en trois minutes un synopsis très carré. Mais aussi, quel sentiment bizarre d’un vide absolu, d’un anonymat de l’écriture… Comme si je lisais un script qui veut tout bien faire, et qui effectivement le fait très bien, mais totalement dénué de cette subjectivité affirmée qui fait aussi la nature d’une œuvre – cette subjectivité qui fait qu’une œuvre nous accompagne ensuite toute une vie non par son professionnalisme, mais par son parfum singulier.
Il vous reste 75.34% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.