Il faut slalomer entre des panneaux aux couleurs de Google, IBM et Microsoft, puis dépasser une affiche promettant un cocktail le soir même (avec champagne), avant de trouver la bonne salle. Ici, devant une quarantaine de personnes, on débat de l’industrie des technologies et de ses richesses, mais sans l’enthousiasme béat de certaines conférences consacrées au numérique. Les algorithmes sont-ils un danger pour la Sécurité sociale ? L’éthique dans l’intelligence artificielle est-elle une vaste arnaque ? Comment allier nouvelles technologies et écologie sans greenwashing ? Et surtout, est-il temps que les travailleurs et travailleuses du numérique se révoltent ?
C’était le programme, chargé, de la première conférence du collectif Onestla.tech, qui entend porter la voix des travailleurs et travailleuses du numérique en France pour « mettre la technologie au service du bien commun ». L’événement, qui s’est tenu le 15 décembre à la Cité des sciences à Paris, était hébergé au sein des Apidays, une grande conférence professionnelle du numérique, où l’on a plus l’habitude de parler d’économie du logiciel que d’anticapitalisme.
Le collectif assume ce contraste. « Nous, les travailleurs et les travailleuses du numérique, nous avons le privilège du plein-emploi et des rémunérations hautes », explique sur scène Hélène Maître-Marchois, cofondatrice d’Onestla.tech, et également cofondatrice de Fairness, une entreprise française de services numériques. « Alors si on ne cherche pas à faire bouger les choses, qui le fera ? »
« Techlash »
Cette question, Onestla.tech se la pose depuis sa naissance à la fin de 2019, lors des manifestations contre la réforme des retraites. À la suite d’échanges sur les réseaux sociaux, un petit groupe de travailleurs et travailleuses du numérique publie un texte en ligne pour dénoncer le projet du gouvernement et souligner le rôle de l’industrie des nouvelles technologies dans l’augmentation des inégalités économiques.
« L’automatisation peut être une chance pour l’humanité : elle permet de déléguer aux machines toujours plus de tâches fastidieuses, ingrates, complexes, ennuyeuses ou non épanouissantes », peut-on lire dans cet appel fondateur. « Malheureusement, les monumentales richesses produites par les machines et les programmes développés par les actrices et acteurs du numérique sont accaparées par une poignée de personnes, propriétaires ou actionnaires des multinationales de la tech ou de domaines qui en dépendent toujours plus. »
Le texte, signé à ce jour par plus de 2 000 personnes, a aussi attiré l’attention des médias, intrigués par ce projet a priori rare : une prise de position politique forte de la part d’un groupe souvent jugé comme dépolitisé. « Les geeks se rebiffent », « la tech française se sort de sa matrice »… Certains observateurs ont lié Onestla.tech au mouvement plus global du « techlash », un terme qui désigne le retournement de l’opinion publique et politique contre les entreprises des nouvelles technologies.
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